La pièce dure 90 minutes, mais il en avait fallu bien moins que cela pour en établir l’importance, la nécessité du propos avancé, martelé dans cette pièce de l’auteure Catherine Léger. Forte de son succès, l’oeuvre Baby-Sitter reprend ainsi l’affiche à La Licorne fin juillet, avant d’entamer une tournée québécoise. Rencontre avec Isabelle Brouillette, le personnage principal de ce coup de poing théâtral.
Un café terminé à ses côtés, la comédienne qui interprète le rôle de Nadine, jeune mère et conjointe d’un homme (David Boutin) congédié pour avoir lancé une grossièreté en passant derrière une journaliste en plein direct à la télévision, donne un peu plus de détails sur les circonstances ayant mené à ce retour de l’oeuvre sur scène et à cette tournée québécoise. « En fait, le succès de la pièce est une bonne chose, bien sûr, mais Gilbert Rozon avait déjà fait le tour des théâtres de Montréal pour trouver une pièce à présenter durant l’été dans le cadre des festivités du 375e anniversaire de fondation de la ville », indique-t-elle.
« Quand cet appel a été lancé, il y a un an, Baby-Sitter avait été écrite, mais pas encore montée, ni jouée; le directeur artistique de La Licorne, Denis Bernard, a eu du flair en la sélectionnant. » Une présentation de l’oeuvre lors d’une lecture publique dans le cadre du Festival Jamais Lu, au printemps 2016, a elle aussi solidifié le « dossier de candidature » de la pièce. Comme de fait, « on avait déjà envie de partir en tournée… On travaille fort lorsque l’on monte une pièce, et on a envie que ça dure longtemps », précise Mme Brouillette.
« Connaissant le sujet que nous allions aborder, l’auteure Catherine Léger et moi-même, qui sommes toutes deux productrices du spectacle, nous voulions que le propos circule à travers le Québec, histoire de rejoindre tout le monde, et non pas de restreindre l’oeuvre au territoire montréalais. »
Car si le propos est loin d’être léger, il mérite effectivement de circuler, de faire réagir, de provoquer des discussions et des réflexions. Baby-Sitter est une pièce sur le sexisme (très) ordinaire, mais aussi une oeuvre sur les structures de pouvoir, les relations entre les hommes et les femmes, les clichés qui sous-tendent encore le fonctionnement de notre société pourtant dire « égalitaire »… Sans jamais vouloir être moralisatrice – loin de là! -, Baby-Sitter crève l’abcès, forçant du même coup le public à se reconnaître dans ces interactions parfois navrantes, parfois loufoques, et parfois déstabilisantes.
Une découverte progressive
La relation entre Isabelle Brouillette et Catherine Léger ne date pas d’hier. La comédienne avait effectivement joué dans la précédente pièce de l’auteure, en 2014, et les deux femmes ont gardé le contact par la suite, y compris lorsque Mme Léger s’est inspirée de la véritable anecdote d’un employé d’Hydro One, en Ontario, qui s’est retrouvé dans l’eau chaude après avoir lancé « fuck her right in the pussy » en direct à la télévision.
« Je faisais un peu partie de la pièce avant même qu’elle ne soit déjà écrite… Et on a fini par se rendre compte qu’il pouvait s’écouler bien du temps avant que l’oeuvre ne soit jouée si on ne la produisait pas nous-mêmes, alors nous nous sommes dit que nous allions le faire ensemble. J’ai découvert la pièce au fur et à mesure, (Catherine) m’envoyait des scènes… J’ai énormément d’admiration pour elle; elle m’a parlé des idées qu’elle avait de façon intellectuelle, de façon théorique, et elle réussit à l’écrire, à mettre tout cela en scène, à être drôle. Il est étonnant de voir de quelle façon elle parvient à concrétiser ses idées », explique Mme Brouillette.
Pour cette dernière, les enjeux soulevés par Baby-Sitter viennent ébranler les colonnes du temple, en remettant en question un mode de fonctionnement sociétal « qui est là depuis des milliers d’années ». « On n’aime pas trop en parler, et on ne sait pas non plus comment en parler », lance-t-elle. Mais qui dit pièce chamboulant l’équilibre ne veut pas dire pièce rejetée par le public, bien au contraire, et ce même à l’extérieur de la sphère artistique montréalaise, où les artistes sont peut-être davantage portés à vouloir « brasser la cage ». « Avant même de présenter Baby-Sitter à La Licorne, on a eu l’occasion de jouer la pièce dans diverses villes de l’extérieur de la région métropolitaine, y compris à Maniwaki. À Maniwaki, d’ailleurs, nous étions très près de la première, alors nous leur avons offert la pièce sans les décors, mais avec les mouvements et les répliques. Les gens ont adoré », dit Mme Brouillette.
« On est à Maniwaki », poursuit-elle: « Les rapports hommes-femmes, que tu sois à Fermont ou à Sherbrooke, sont les mêmes partout. Ces petits jeux sont les mêmes depuis le début des temps. L’humour n’est pas trop ironique dans la pièce, et ça riait très fort. Après, le niveau d’intellectualisation du propos reste à voir, mais c’était étonnant de voir à quel point les gens semblaient touchés. À croire que la pièce est bien foutue, puisqu’elle s’attaque aux thèmes de front, sans toutefois vouloir être pamphlétaire. »
La voie semble donc être toute tracée pour que Baby-Sitter poursuive son oeuvre comique, parfois grinçante, mais diablement rafraîchissante un peu partout à travers la province.