L’heure était à la danse, lundi soir, alors que le spectaculaire (et actuellement incomplet) édifice Wilder accueillait Faille et Phase 3, deux oeuvres portant sur la combinaison corps et machine présentées dans la cadre du festival OFFTA.
Dans une salle comble à un point tel qu’on a bien cru que des gens se verraient refuser l’entrée, voilà que la chorégraphe Jessica Serli partage la scène avec Nicolas Labelle. S’ils sont seuls sur la scène dénudée, ils semblent néanmoins être accompagnés d’une présence intangible, mais toutefois perceptible: tous deux, liés à des câbles transparents qui serpentent sur le sol, donnent l’impression d’être « branchés », d’être des extensions d’une entité numérique impalpable.
Cette existence numérique se confirme lorsque la musique se met à jouer; cliquetis, sons ressemblants au bruissement des bandes magnétiques sur leurs bobines, vrombissements de disques durs… la bande sonore de cette Faille évoque largement les effets sonores d’une machine vivante, d’un superordinateur qui contrôlerait nos deux danseurs. D’autant plus que les mouvements de ceux-ci, spasmodiques et mécaniques, évoquent fortement des robots et des créatures contrôlées à distance.
Mais pour paraphraser Edmond Rostand, de cette oeuvre d’à peine quinze minutes, on pourrait dire bien peu de choses, en somme. Création possiblement trop courte pour que l’on puisse véritablement en creuser et analyser le sens, Faille sert surtout d’amuse-gueule à ce qui doit suivre dans le cadre de ce programme double.
Cette seconde moitié du spectacle, Phase 3, représente la nouvelle étape d’une longue démarche artistique entamée par Dominique Leclerc. Atteinte du diabète, la créatrice a décidé d’explorer la question du transhumanisme, cette vision idyllique de l’humanité dans le cadre de laquelle l’humain sera appelé à fusionner, en tout ou en partie, avec la machine. Avec, à la clé, une nouvelle existence technocorporelle.
Si cette question de l’avenir de l’humanité et de sa relation avec la technologie, et possiblement l’intelligence artificielle, fait l’objet de débats depuis les débuts de la science-fiction – y compris dans la récente série documentaire Year Million, diffusée aux États-Unis -, le sujet est ici abordé dans une perspective de création théâtrale. D’abord invité à circuler dans une installation évoquant sommairement cette question de la fusion homme-machine, le public assistera ensuite à une opération chirurgicale singulière; le conjoint de Mme Leclerc, à l’imitation de son épouse qui avait procédé à l’identique la veille, se fera implanter une puce RFID dans la main.
Alors qu’on prendra bien soin de mettre des mesures en place pour venir en aide aux personnes pouvant se trouver mal durant la procédure – une personne se serait évanouie la veille -, l’implantation comme telle ne durera que quelques secondes. Suffit d’enfoncer la pointe d’une aiguille spéciale sous la peau de l’artiste, d’injecter la puce, et hop! Voilà que notre homme peut probablement y télécharger ses informations de carte OPUS pour ensuite prendre le métro en collant sa paume sur le lecteur.
Ce n’est pas que le délicat sujet abordé par Mme Leclerc et son conjoint n’est pas important, bien au contraire: véritable champ de mines éthique, philosophique et technologique, ce transhumanisme mérite d’être discuté, disséqué et débattu ici comme ailleurs. Le hic, c’est qu’à défaut d’offrir justement des notions de politique, d’éthique, de médecine, d’électronique et de philosophie, on ne pourra qu’informer (très) sommairement à ce sujet. Avec pour résultat qu’on demeure sur notre faim. Reste à voir si la pièce de théâtre se trouvant encore dans les cartons sera à la hauteur.
Un commentaire
L’accès à cet édifice Wilder aura agacé de nombreux spectateurs en possession d’une carte Rush. C’était la 1re année que j’éprouvais autant de frustrations à utiliser cette passe donnant accès à tous les spectacles, alors que j’en faisais l’achat depuis 4 ans. Faille avait déjà été présenté à Tangente en novembre 2016. J’ai toujours pensé que cet amuse-gueule (votre expression) était de réels spasmes provoqués par des décharges électriques.
Pour ce qui est de Phase 3, j’avouerai ne pas avoir applaudi à la fin du spectacle. L’installation, sans manquer d’intérêt, était suivie de discours philosophiques (bla-bla) qui alourdissaient cette présentation. Cette implantation d’une puce me semblait s’éloigner du domaine artistique pour se rabattre sur une sorte de médecine boiteuse pleine d’appréhensions. Ils insistaient beaucoup sur les conditions stériles, l’absence de douleur, et la présence d’une infirmière attitrée.
Elle aura été utile lorsqu’un spectateur s’est évanoui sous le stress, mais courir chercher un verre d’eau pour ensuite crier une demande d’aide pour transporter cet homme me semblait bien peu artistique. On était vraiment rendu ailleurs. Cet implanteur avait une allure inquiétante en étant vêtu de noir avec des pointes de peau dans le front. J’aurais bien aimé qu’un médecin soit sur place pour regarder ce spectacle avec un regard professionnel.