Vendredi soir au Théâtre Prospero. Les spectateurs s’installent dans une salle complètement dénuée de tout décor, de tout artifice. Et sur scène, dans le cadre du Festival TransAmériques (FTA), voilà que Manuel Roque vient chambouler l’ordre établi.
D’abord, il y a ce bruit. Ce bruit mécanique, machinal, artificiel. Ce bruit qui ne semble jamais s’arrêter, comme le coeur d’un immense être de métal, engagé dans des battements réguliers, éternels. Et voilà qu’arrive l’artiste… qui se met à se recroqueviller sur lui-même en suivant la musique. Encore. Et encore. Et encore.
Dans la salle, quelques spectateurs s’interrogent du regard. On étouffe ici un léger rire. Et ce journaliste, peu habitué aux spectacles de danse, commence à se demander si la soirée sera longue.
Voilà pourtant que Roque entre dans le vif du sujet. Cette oeuvre, ce Bang bang, ces mouvements répétitifs calqués sur une musique sourde et aliénante… Tout cela s’inscrit dans une démarche d’appropriation du corps, de transformation de cet organe naturel en une création artificielle, froide, lisse. Et si l’artiste introduit peu à peu des variations dans ses mouvements, on se dit qu’il s’agit-là d’artéfacts. Après tout, une création artificielle tend à préférer tout ce qui est propre et net.
Au fur et à mesure que le spectacle progresse, le danseur semble livrer un combat entre sa nature fondamentalement humaine et ce désir de respecter les diktats artificiels. Lutte entre l’homme et la machine, fuite devant la montée galopante de l’uniformisation par les armes du numérique et de la technologie, Bang bang surprend, étonne, transporte pendant une heure. La force de l’artiste, qui n’arrête pratiquement jamais de danser pendant toute la durée du spectacle, est à couper le souffle. Il faut le voir multiplier les mouvements saccadés, tenter de plaire à ses maîtres robotiques, alors même que les nombreuses gouttes de sueur s’écrasant au sol témoignent inéluctablement de sa condition d’être humain.
Oeuvre aussi abstraite que puissante, Bang bang, à l’image des bruits qu’elle évoque, fait d’abord sursauter. Mais le voyage en vaut absolument la peine.