Revisiter l’œuvre de Shakespeare dans une sobriété absolue, où les mots ont plus d’importance que l’action, c’est ce que Tiago Rodriguez nous offre sur le plateau avec Antoine et Cléopâtre, l’histoire bien connue de cet amour impossible entre l’héritier de l’Empire romain et la reine d’Égypte. En toute simplicité scénique, mais avec grande force expressive, cet homme sait indéniablement raconter.
Ils sont deux sur scène, et ils ne sont pas comédiens, mais chorégraphes. Ils font danser les mots, activant d’un même mouvement la puissance de notre imagination pour combler l’espace dépouillé de la scène. Dépouillé, mais chaud et certainement pas vide. Antoine et Cléopâtre qu’un amour radical et cruel anime malgré les frontières politiques s’adressent à nous avec une honnêteté désarmante.
Sans montrer, ils évoquent. « Antoine dit… », « Cléopâtre dit… » Pas de dialogue non plus, Antoine parle pour Cléopâtre et Cléopâtre pour Antoine, il respire pour elle et elle pour lui, parfois ils le font ensemble. Tous deux ont vu dans le futur la mort d’Antoine transpercé d’une épée, mais Cléopâtre rêve à pouvoir changer l’avenir pendant qu’Antoine préfère s’ancrer dans le présent. Et c’est bien du présent, cet espace à la frontière entre le passé et le futur, qu’ils nous narrent leur histoire. Eux-mêmes pris au piège d’un conflit politique de chaque côté d’une frontière qui les sépare autant qu’elle les unit. C’est exactement sur cette fine frontière que leur amour existe et restera éternel.
Frontière comme symbole de la dichotomie du monde, comme séparation entre opposés. Antoine et Cléopâtre tentent pourtant de la faire disparaître alors qu’on peine à les distinguer l’un l’autre. « Antoine respire. Cléopâtre respire ». On ne voit rien, mais on voit tout. Les nuages vaporeux et les oiseaux qui volent, le bord du Tigre, la guerre, la trahison, la cruauté, l’amour.
La scène est couverte d’un tissu de la couleur chaude du sable, qui permet par moments de refléter les ombres des corps lorsqu’ils se déplacent. Deux personnages avec leurs mots. Répétitif à en devenir hypnotique, on est bercé par leur danse poétique et minimaliste. Il y a de la grâce. D’une pièce imposante Rodriguez réussit à créer un théâtre épuré, dont la forme surprenante interpelle et poursuit longtemps, comme une longue résonance profonde.
Dans le cadre du FTA
A la Cinquième salle
Du 27 au 29 mai 2017