Anna Boden et Ryan Fleck sont deux génies du cinéma indépendant qui viennent une fois de plus épater avec un film qui est toujours très loin de ce qu’il semble être aux premiers abords. Écrit avec une grande finesse, Mississippi Grind, désormais disponible en DVD, est certainement l’une des plus belles surprises de l’année.
Après avoir conquis avec Half Nelson, le tandem a continué de surprendre avec Sugar puis le trop peu connu, mais charmant It’s Kind of a Funny Story. S’il continue de multiplier les collaborations de renom, pour une raison obscure, leurs films ne font toujours pas courir les foules, ce qui est une tragédie incroyable.
Certes, leurs films sont réfléchis, psychologiquement fouillés et savent miser sur une richesse d’écriture qui l’emporte constamment sur l’action et ça, ce n’est définitivement pas le plus vendeur. Cependant, pour ceux qui voudront s’investir, ils trouveront dans cette variante sur le film de gambling une réflexion d’une grande nuance.
C’est que Ryan Reynolds et Ben Mendelsohn donnent tout ce qu’ils ont. Si l’un est agréable à ses heures, il a rarement fait preuve d’autant d’assurance, de charisme et de fougue, n’en déplaise à son irrésistible physique, tandis que l’autre, caméléon en tout point, se transforme en un être qui fait constamment changer notre perception au fur et à mesure que le personnage se complexifie. Mieux, la complicité entre les deux est si extraordinaire qu’on a l’impression de pouvoir la toucher du revers de la main.
Il faut donc se lancer dans cette amitié atypique de deux inconnus qui décident de tout miser sur la chance en faisant la tournée des casinos pour gagner gros. C’est que Gerry est à la croisée des chemins et qu’il croit trouver en Curtis tout ce qu’il n’est pas et tout ce qu’il n’a pas, la chance en premier. Ensemble, le duo improbable ne devient plus qu’un et il y a quelque chose de fascinant à les voir se diriger vers leur propre perte.
Puisque voilà, sous ses dehors typiques de road movie se cache un genre encore mieux travaillé : le western, adapté sur fond urbain. Nos deux protagonistes sont des cowboys, solitaires et errants, dont le but est vain, mais le chemin parcouru pratiquement plus important que l’arrivée. Dans ses délires, ses rares lueurs d’espoir et sa mélancolie persistante, le long-métrage y développe avec maestria la réalité de deux êtres dont l’échec est aussi inévitable que la continuation de leur existence.
Filmé avec subtilité dans un genre très discret et personnel, on relève l’ensemble avec des répliques d’un naturel désarmant et une trame sonore aux sonorités jazz, country et blues qui culminent avec brio vers ce dernier acte se déroulant en Nouvelle-Orléans, plus belle que jamais. Le côté imprévisible de l’excellent scénario aide également à garder constant l’intérêt au fur et à mesure qu’avance l’écoute jusqu’à sa toute fin.
Mississippi Grind est dont une douce réussite qui cache quelque chose de beaucoup plus important qu’au premier regard. Sous ses revers de film conventionnel se cache un long-métrage d’une rare finesse écrit avec un doigté remarquable. Un drame à ne pas manquer sous aucun prétexte.
8/10
Mississippi Grind ou Le Bluffeur en français est disponible en Blu-Ray et DVD depuis mardi.