Décrit comme un « opéra performance pour voix solo et bande électroacoustique », Yo soy la desintegración, œuvre de Pauline Vaillancourt, reçoit un second souffle 20 ans après sa création. Présenté dans l’intimité de la Cinquième Salle à la Place des Arts, on était en droit de s’attendre à un bouleversement en huis clos. Mais ce déchaînement a-t-il eu lieu?
Yo soy la desintegración s’inspire des écrits du journal intime de Frida Kahlo. Publié en fac-similé au milieu des années 90, il a été la source d’inspiration pour Pauline Vaillancourt dans la création de cette performance hors du commun. À l’époque, l’artiste et fondatrice de Chants Libres avait reçu une bourse pour effectuer un séjour au Mexique et s’imprégner de l’univers de Frida Kahlo en visitant sa maison et ses jardins. Et à l’occasion du 20e anniversaire de cette œuvre phare pour sa compagnie Chants Libres, Vaillancourt a voulu que sa pièce de 1997 revive sur les planches.
Un travail d’équipe, d’hier à aujourd’hui
Repris aujourd’hui par la soprano Stéphanie Lessard, l’opéra performance Yo soy la desintegración revisite le destin tragique de Frida Kahlo. Si le thème se transpose bien encore aujourd’hui, la touche lyrique n’est pas exactement la même.
Bien que porté sur scène par une seule et même interprète, le spectacle est un travail d’équipe qui dénote de la richesse des parcours de chacun: le compositeur Jean Piché, le librettiste Yan Muckle, la scénographe, costumière et artiste visuelle Anita Pantin ainsi que l’éclairagiste Nancy Buissières. L’ensemble ne fait qu’un et accompagne la soliste dans sa mise en images de la vie intérieure de Frida Kahlo.
Car Pauline Vaillancourt n’a jamais cherché à imiter ni personnifier la peintre. Son interprétation, puis celle de Stéphanie Lessard se veulent plus intimistes: montrer la douleur, le chaos, la fébrilité, toutes ces choses décrites avec beaucoup de passion par Kahlo dans son journal.
À travers les différentes phases marquantes de sa vie, notamment son grave accident à 18 ans, sa rencontre avec Diego Rivera et ses fausses-couches, des bribes de ses écrits sont chantées, clamées et jouées par Stéphanie Lessard, mais sans jamais nommer les événements ni les protagonistes. Le point d’ancrage de ce spectacle n’est pas tant la personnification autobiographique de l’artiste que la transposition d’une ambiance.
La difficile transmission des blessures de l’âme
Puissante en son genre, la scénographie joue un rôle de premier plan dans cet opéra performance. Tout rappelle un mal-être accentué par les chants et de jeu de la soliste. Dès qu’on entre dans la salle, on ne peut que s’étonner du rideau fabriqué à partir de poupées suspendues, qui trône devant la scène. Tout paraît sortir d’un rêve hallucinatoire : quantité de miroirs, des voiles, des bijoux clinquants, en plus des présentations vidéos qui accentuent le tragique de la pièce.
Si les émotions dépeintes dans les écrits de Kahlo paraissent difficiles à matérialiser sur scène, elles peuvent en revanche facilement sombrer dans la caricature. Mais n’est-ce pas le propre de l’opéra que d’exacerber la transmission des émotions ? Dans ce cas-ci, malgré toute la passion et l’enthousiasme avec lequel la pièce nous est livrée, la connexion entre la chanteuse et le public se fait à grand-peine. On ne parvient pas complètement à plonger dans l’histoire ni à se laisser porter par l’interprétation.
Projet fascinant, Yo soy la desintegración est un défi de taille, autant d’un point de vue physique qu’artistique. Difficile de reprendre là où Pauline Vaillancourt avait laissé… Disons simplement que le rendu de la pièce nous a paru un peu froid, malgré les thèmes bouleversants évoqués tout au long du spectacle.
Malgré les blessures physiques et psychologiques, Kahlo s’est tenue debout. Au sens propre comme au figuré. Stéphanie Lessard, aussi, a tenté de reprendre le plus habilement possible le flambeau tendu par Vaillancourt. Elle aussi, elle s’est tenue debout, malgré tout.