Les médias ont été pointés du doigt dans le déferlement récent des fausses nouvelles circulant sur les réseaux sociaux. Ils en seraient partiellement responsables, avance en effet l’essayiste américain Shawn Otto et le cofondateur de l’initiative américaine des débats scientifiques et politiques ScienceDebate.org.
« Depuis 1996, quand la Société américaine des journalistes professionnels a enlevé le standard d’objectivité de son code d’éthique, nous avons vu diminuer l’habileté des journalistes à distinguer et présenter les faits objectivement », relève-t-il.
Lorsqu’ils couvrent les sujets controversés tels que les changements climatiques, les journalistes s’efforcent trop souvent d’être « justes et équilibrés » en présentant les deux côtés de la médaille, celui de la science, mais aussi l’argumentaire passionné opposé, même si ce dernier relève plus de l’opinion.
« Cette situation ouvre une porte aussi large qu’un hangar d’avion aux campagnes de relations publiques destinées à dénigrer la preuve. Les journalistes devraient plutôt soutenir les faits et les connaissances scientifiques. Le véritable but du journalisme en démocratie consiste à servir de gouvernail pour diriger le navire au service de la population », soutient Shawn Otto qui participera à une conférence destinée à mieux outiller les communicateurs scientifiques et les journalistes face à la désinformation qui sévit en cette ère des technologies numériques lors des Journées internationales de la culture scientifique – Science & You.
Dans son livre The War on science, il dénonçait déjà la fragilisation de la démocratie et la guerre menée à la science depuis 40 ans avec le retour à l’autoritarisme et de la droite religieuse, mais aussi l’émergence d’une contre-vérité : « Toutes les opinions se valent ». Une arme placée dans les mains des trolls et des adeptes de la désinformation.
L’ère des trolls
À l’époque où désinformation rime avec opinion et où les réseaux sociaux forment un terrain de jeu de choix pour les trolls, de plus en plus de médias se donnent comme mission de démêler le vrai du faux et de remettre les pendules à l’heure en matière d’information.
C’est le quotidien de Vanessa Schipani. Selon elle, il importe d’abord de mieux définir les fausses nouvelles [Fake News]: « Il s’agit généralement de “tromperies virales [Viral Deception]” qui se répandent partout. Elles sont purement fausses tandis qu’en science, il s’agit plus souvent de désinformation », explique la journaliste scientifique de FactCheck.org.
En science, de nombreux journalistes ne comprennent pas très bien comment les études se font. « Lorsqu’ils ne sont pas éduqués en science et qu’ils ne prennent pas le temps de lire l’étude, ils passent à côté de détails importants — par exemple, la taille de l’échantillon — et utilisent les mauvais mots pour en parler. La science n’est pas simple et il importe de ne pas sauter trop rapidement à la conclusion », rappelle la journaliste.
De vraies et de fausses nouvelles circulent depuis déjà quelque temps sur Internet. Une étude de Craig Silverman, celui-là même qui a mis au jour, à travers un reportage de BuzzFeed Canada, la plus grande popularité en termes d’interactions sur Facebook des fausses nouvelles sur les élections américaines, accusait déjà en 2014 les médias en ligne de contribuer à la désinformation. Leur objectif : générer des clics et ce faisant, multiplier les visites afin d’engranger des revenus à partir des publicités affichées sur ces sites.
Pour Shawn Otto, les réseaux sociaux constituent également un problème. Selon lui, en privatisant l’espace public via ces plateformes, les messages publicitaires et les opinions de groupes d’intérêts sont amplifiés par le biais d’algorithmes, les rendant omniprésents, plus qu’ils ne le sont réellement. « Nous sommes ainsi plus exposés aux argumentations et aux opinions de tous sans filtre », relève-t-il.
La possibilité d’être anonyme est aussi, pour lui, un problème réel. « Sans doute devrions-nous envisager la possibilité de réguler les réseaux sociaux pour assurer une représentation équitable et juste, car ils sont devenus nos canaux de prédilection pour échanger des idées et des débats démocratiques », ajoute-t-il.
Défendre la science
En ces temps troubles de montée du populisme et de la propagation de rumeurs, Shawn Otto est d’avis qu’il importe d’être un avocat de la science. « L’idée originelle de la démocratie gouvernementale est basée sur l’esprit scientifique. Lorsque Thomas Jefferson a écrit en 1776 la Déclaration de l’indépendance, il s’est inspiré des idées de trois idoles des Lumières — Isaac Newton, Francis Bacon et John Locke. Cette idée d’un accès égal à la vérité, à la réalité des faits, recule 240 ans après pour laisser place à des arguments autoritaires », argumente-t-il.
Devant ce rejet de l’objectivité, couplé avec des campagnes de relations publiques qui discréditent les faits scientifiques et la hausse du scepticisme du public face à la science et ceux qui la produisent, il importe de défendre la science.
Et même les scientifiques devraient se jeter dans l’arène médiatique. « J’ai écrit deux livres pour essayer de les en convaincre. La science n’est jamais partisane, car elle s’appuie sur des preuves, mais elle est toujours politique. Elle crée du savoir et ce savoir forme du pouvoir et ce pouvoir peut confirmer ou infirmer les idéologies ou les intérêts économiques », soutient-il.
Avec un petit bémol, du côté des journalistes. « Il importe de rester un peu sceptique devant les nouvelles scientifiques, mais lorsque le consensus existe, comme dans le cas des changements climatiques ou de l’évolution, nous devons rapporter les faits », précise de son côté Vanessa Schipani qui avoue ne pas savoir comment faire face aux climatosceptiques. « Il y a l’éducation, mais cela fait partie aussi de leur identité. C’est difficile de remettre en question de telles croyances ».
En mode « solution »
Les lecteurs ne devraient jamais croire ce qu’ils lisent sans se poser des questions. « D’où vient la nouvelle ? D’une source fiable telle que le New Scientist, ou de Foul.com, c’est au lecteur de se responsabiliser et de faire un peu de recherche avant de conclure que c’est vrai », soutient Vanessa Schipani.
Reconnaître le véritable rôle du journalisme, qui doit se baser sur la puissance de la preuve scientifique, pourrait être une autre solution à envisager face à la désinformation. « Les journalistes scientifiques et les éditeurs peuvent jouer un rôle central ici, car de très nombreux sujets politiques controversés qui peuvent relever en grande partie de la science nécessitent d’être communiqués au public dans les pages politiques des journaux et pas seulement dans les pages thématiques science et santé », pense Shawn Otto.
Il rappelle que nous sommes d’ailleurs loin d’être impuissants: « Les solutions sont aussi variées que les attaques faites à la science et aux faits. Cela signifie aussi que tout le monde, peu importe qui vous êtes et où vous travaillez… vous pouvez jouer un rôle important dans la lutte à la désinformation! »