« Le communisme c’est beau en théorie, mais en pratique… », répètent certains universitaires balayant un pan de l’histoire moderne sans même avoir lu une ligne de cette fameuse théorie. À l’abri de cette omission occidentale, le président russe Vladimir Poutine veille à consolider le pouvoir étatique via les commémorations nationales et le média RT (Russia Today).
Deux jours avant l’anniversaire du révolutionnaire, Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, et un siècle après la révolution menée par les bolcheviks renversant la dynastie des Romanov, quatre législateurs du Parti Russie unie et deux législateurs du Parti nationaliste pro-Kremlin ont fait voter une loi afin de s’opposer à la présence du corps embaumé du révolutionnaire au centre de la capitale Moscou, rapporte Reuters le 20 avril. Le pouvoir russe souhaite enterrer le corps de Lénine qui repose dans un mausolée à la Place Rouge depuis son décès en 1924.
En brûlant le cadavre de Lénine, est-ce qu’on efface la révolution de la mémoire collective? À l’Ouest, Donald Trump a fait campagne scandant le slogan « Make America Great Again », mais jusqu’à quel point la nostalgie peut redevenir la réalité. La soixantaine de missiles lancés en sol syrien le 6 avril vont-ils suffire pour démontrer devant le Congrès que le président américain n’admire plus le président russe? À vrai dire, la symbiose entre les deux superpuissances qui a constitué les sociétés au XXe siècle, d’abord par opposition idéologique, ensuite par une tendance partagée vers l’oligarchie semble plus compliquée à démêler qu’il n’y paraît.
Outre la zizanie des hautes sphères du pouvoir, le casse-tête des pays d’Europe centrale et orientale incarne cette complexité. Le rédacteur en chef du Courrier des Balkans, Jean-Arnault Dérens écrit dans le Monde diplomatique de décembre 2016, que tous les gouvernements nationalistes de la région utilisent, déforment et manipulent les faits historiques afin de justifier et d’asseoir leur propre pouvoir. Les idéologies et les religions se conjuguent à travers l’histoire au point que l’argument de la « complexité » permet aux Occidentaux de refuser tout travail d’intelligibilité de la situation. L’historienne bulgare, Maria Todorova qualifie cette attitude de « balkanisme », terme qu’elle compare à « l’orientalisme » du théoricien littéraire palestino-américain, Edward Saïd. Une forme de racisme ciblé.
Cette double omission de la réalité désignée comme étant « l’Est » sert le règne du président russe qui arrive à concilier l’inconciliable dans un schéma logique: l’unification et la centralisation de l’État russe, rappelle la professeure associée d’histoire de la Russie et de l’URSS à l’université de Genève, Korine Amacher dans le Monde diplomatique de mars. La stratégie n’est ni de gommer la révolution ni à la commémorer en tant que révolution, il s’agit plutôt de fondre plusieurs événements historiques afin de susciter une adhésion collective plus forte. En effet, tant les « blancs » que les « rouges » ont été prêts à donner leur vie pour la Russie, la Russie impériale pour les premiers et la Russie soviétique pour les seconds. Le 7 novembre 2016, une femme moscovite interviewée par un journaliste a affirmé qu’en 1917, sa famille étant alors misérable, elle aurait soutenu les bolcheviks. Alors que maintenant, elle serait du côté des « blancs », affirme-t-elle avec un sourire éclatant sous son manteau de fourrure.
L’opportunisme semble transcender les religions, les idéologies et les systèmes politiques puisque le président américain cherche à s’affranchir de son propre pays en ne gouvernant qu’à sa tête et le président russe ne laisse aucune chance à ses opposants politiques. À l’Est comme à l’Ouest, on tente d’instrumentaliser le quatrième pouvoir, la presse ou les médias. Cinquième chaîne internationale la plus regardée aux États-Unis et en Europe, avec un budget de 290 millions d’euros et comptant 4,5 millions d’abonnés, la chaîne d’information en continu RT reprend les critiques du néolibéralisme et des positions diplomatiques néoconservatrices, loin des lignes éditoriales des grandes chaînes nationales câblées, de CNN à Fox News.
Malgré un ton anti-Wall Street, anti-Trump, ainsi que donnant une voix aux candidats des « tiers partis » à son antenne américaine, la plate-forme multimédia russe RT a une prédilection pour les thèmes sécuritaires, rapporte le doctorant en politique de la Russie contemporaine à l’université Paris Nanterre, Maxime Audinet dans le Monde diplomatique d’avril. Par exemple, pour un article sur le chômage publié sur RT, on en trouvait 17 sur le terrorisme, presque dix fois plus que dans la presse française.
À l’instar de CNN pour les États-Unis pendant les guerres américaines, RT devient un instrument de propagande lorsqu’il s’agit de couvrir des conflits présentant un intérêt stratégique majeur pour la Russie, poursuit le doctorant Audinet. Par exemple, après la reprise de la ville d’Alep en Syrie, RT montrait des images de l’ouest de la ville. Alors que l’ensemble des médias occidentaux mettaient l’emphase sur la situation humanitaire des quartiers est.
Avec l’objectif de se réconcilier avec « la Russie », le président Donald Trump n’a qu’à mettre de l’avant sa gouvernance style « dynastie des Romanov ». Quelle tendresse paternelle d’enregistrer deux marques de l’entreprise de sa fille lors d’un séjour diplomatique en Chine… sur le bras de l’Amérique!