La fort bien huilée machine Netflix tournait à plein régime, vers la fin de la semaine dernière, alors qu’approchait la date de sortie de la tant attendue quatrième saison de la télésérie House of Cards.
Voilà des mois que le public n’avait à se mettre sous la dent qu’une publicité aux accents électoraux du personnage de Frank Underwood, interprété par Kevin Spacey, dont le message et l’adresse web fictive (FU2016, rigolo mais peu subtil) témoignent déjà du machiavélisme dégoulinant habitant l’individu. Et, fidèle à son habitude, le service de diffusion de contenu vidéo en ligne largue 13 nouveaux épisodes d’un coup. Sans la supervision de son créateur Beau Willimon, la cynique saga politique avait-elle les reins assez solides pour remonter la pente d’une troisième saison trop longtemps demeurée au neutre? Oui et non.
Après une troisième saison marquée par des dissensions majeures au sein du parti démocrate avec une course à l’investiture cahoteuse et une désintégration toujours plus poussée du couple Underwood-Underwood, la quatrième saison reprend approximativement là où l’on avait laissé nos personnages. Frank sent le pouvoir lui échapper peu à peu, il perd quelques primaires, et son salut ne réside qu’en la fuite par en avant. Déterrer des saloperies sur ses adversaires pour modifier l’ordre du jour médiatico-politique et ainsi échapper à ses détracteurs et à l’opinion publique.
À l’image de la série elle-même, si cette méthode a bien fonctionné pendant les deux premières saisons, à la quatrième année de magouilles, on sent la fatigue qui s’installe. Usure du pouvoir à l’écran, usure des mêmes méthodes scénaristiques derrière ce même écran, House of Cards montre un Frank Underwood fatigué et les premiers signes d’un élastique qu’on étire pratiquement au point de rupture. Le départ de Beau Willimon a peut-être quelque chose à y voir, ou est-ce le fait que le scénario original planchait sur deux saisons uniquement? L’ascension fulgurante d’un manipulateur politique que rien n’arrête, surtout pas les lignes de parti, ou encore le respect pour la vie humaine. Une fois le sommet atteint, le téléspectateur pouvait certainement se douter que les lézardes ne tarderaient pas à apparaître dans les fondations de l’édifice; après tout, on ose encore croire, en 2016, que les politiciens ne sont pas uniquement calculateurs.
Parlons-en, d’ailleurs, de cette année 2016, l’année où un socialiste « jeune » de 74 ans promet la révolution contre une candidate de l’establishment, tandis qu’à droite, un démagogue menteur, raciste, sexiste et aux tendances fascistes mène la course en détruisant petit à petit les bases relativement modérées du Parti républicain.
Point de Donald Trump – et point, non plus, de commentaires sur la taille du pénis de qui que ce soit, heureusement – dans cette quatrième mouture de House of Cards, mais les scénaristes ont bel et bien tenté de coller les événements à la réalité. Ainsi, l’adversaire républicain à la présidentielle a tout du Justin Trudeau américain, version militaire: l’homme est grand, beau, idéaliste, a deux beaux enfants, une jolie femme, passe très bien en vidéo, expose sa vie sur les réseaux sociaux. Notons aussi l’apparition de l’Islamic Caliphate Organization, forcément basée sur l’État islamique.
Le hic, avec cette quatrième saison de House of Cards, c’est que la réalité a maintenant dépassé la fiction. Le whip démocrate ne recule devant aucune manoeuvre politique pour faire avancer sa cause? Trump promet de commettre des crimes de guerre et accuse les immigrants illégaux mexicains d’être des violeurs et des tueurs – Dieu seul sait ce qu’il serait capable de lancer aux Russes ou aux Chinois autour d’une table de négociations. L’ICO commet des actes de terrorisme pour faire plier le peuple américain? Washington est déjà engagée dans une campagne de bombardements massifs en Irak et en Syrie. Dans ce dernier pays, d’ailleurs, la situation géopolitique est telle qu’une sortie de crise est pratiquement impensable.
Ce qu’il aurait fallu, dans cette quatrième saison, c’est moins de tergiversations pendant les quatre ou cinq premiers épisodes, et davantage d’action. Peut-être est-ce la preuve que Frank Underwood n’a plus ce qu’il faut pour diriger d’une main de fer, ou qu’à force de couper les ponts et de se faire des ennemis, il n’a plus suffisamment d’amis pour gouverner. Mais pourquoi ne pas franchement aller dans l’extrême? Imiter les véritables événements géopolitiques ne fonctionne plus; il faut oser, choquer pour rappeler qu’Underwood est un monstre, oui, mais également un leader lorsque vient le temps de prendre les choses en main. Poussons le raisonnement à l’extrême: imaginons une saison 5 où les attentats terroristes seraient monnaie courante aux États-Unis, et où un Frank Underwood reporté au pouvoir en vertu des événements et de son ordre du jour sécuritaire doit renforcer les mesures de surveillance, voire carrément imposer la loi martiale pour assurer l’ordre et protéger les institutions. Imaginons un climat de terreur constant, autant de la part des extrémistes que des dirigeants convaincus de mener une « guerre juste », mais éventuellement embourbés en Syrie.
En attendant ce qui devrait probablement être la dernière saison de la télésérie (toute bonne chose a une fin, et l’oeuvre commence à sentir un peu le moisi), House of Cards saison 4 est disponible en intégralité sur Netflix.