Cette semaine, les journalistes politiques qui couvrent la Maison-Blanche ont fait un bilan des 100 premiers jours du gouvernement Trump. Quel bilan font de leur côté les journalistes scientifiques? Survol en cinq impacts.
1) Impacts sur la santé publique internationale
Les coupes dans l’aide internationale auront inévitablement des impacts:
- L’Agence américaine d’aide au développement (USAID) versait à elle seule 44 milliards de dollars. À travers sa disparition, ce sont 2000 personnes qui ont perdu leur emploi, la plupart en poste à l’étranger.
- Ce qui a immédiatement interrompu, entre autres en Afrique, des efforts de lutte contre le sida, la polio et la tuberculose. Chaque année, cette dernière fait un million de morts. Ont également été interrompus, des programmes de lutte contre la malnutrition, la mortalité infantile ou l’aide aux femmes enceintes. Et c’est sans compter les fonds qui seront coupés à cause du retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé.
- Tout cela pourrait se traduire par 18 millions de cas de malaria supplémentaires par année, causant plus de 160 000 décès, par quelque 200 000 enfants paralysés chaque année à cause de la polio, et par un million d’enfants sans traitements pour sévère malnutrition, selon une estimation publiée au début de mars par un administrateur de l’USAID… qui a été placé en « congé administratif » tout de suite après.
Cette première catégorie d’impacts représente ceux qui sont les plus difficiles à prédire parce que, dans le scénario optimiste, la Chine pourrait prendre la place des États-Unis dans l’aide au développement. Et il serait étonnant que le nouveau gouvernement américain reste sourd aux appels des agriculteurs pour qui l’aide internationale représentait chaque année des centaines de millions de dollars qui leur étaient versés par leur gouvernement —pour acheter les aliments envoyés à l’étranger.
Chose certaine, comme l’avait rappelé la BBC en février, « les maladies ne respectent pas les frontières »: moins de médecins dans les régions les plus vulnérables de la planète, moins de médicaments, moins de vaccins, moins de travail de prévention et de suivi des maladies infectieuses, aura tôt ou tard un impact jusque dans les pays les plus riches.
2) Impacts sur la liberté d’expression
L’un des premiers décrets signés par le nouveau président, le 20 janvier, a été pour, selon les mots alors utilisés, « restaurer la liberté de parole ». Or, depuis cette date, c’est le contraire qui se passe, selon une compilation du magazine médical Stat News:
- Une interruption des communications avec le public des agences spécialisées en santé
- Une interruption des échanges scientifiques avec l’Organisation mondiale de la santé
- Une limitation de la liberté de parole des scientifiques à l’emploi du gouvernement, y compris dans des congrès scientifiques
- La disparition de milliers de pages web gouvernementales
- Le retrait de subventions déjà accordées à des recherches, sur la base de quelque 250 « mots interdits », allant de « diversité », « inclusion » et « transgenre » jusqu’à « COVID », « vaccins à ARN » et « changements climatiques »
- L’annonce par les organismes subventionnaires que des thématiques entières comme « désinformation », la prévention du sida chez les jeunes adultes ou tout ce qui concerne la COVID, ne seront carrément plus subventionnés à partir de maintenant.
C’est en plus de la guerre déclenchée contre les universités par le levier du financement : les menaces de retirer aux universités leur statut d’organisme à but non lucratif (et les exemptions d’impôts qui viennent avec), les subventions de recherche qui sont bloquées pour certaines universités ciblées, s’accompagnent chaque fois d’exigences de la Maison-Blanche. Une lettre ouverte signée le 22 avril par plus de 450 présidents de collèges et d’universités constitue la première réaction collective d’opposition à ces ingérences dans la liberté académique.
Plus récent épisode: en avril, des journaux scientifiques — c’est-à-dire des publications spécialisées qui publient des recherches — ont reçu des lettres d’un procureur de Washington, qualifiées de « vaguement menaçantes ». Celui-ci, dans un langage qui semble confondre ce qu’est une étude révisée par les pairs et ce qu’est un texte d’opinion, interroge ces journaux sur leurs présumés « biais » et leur reproche de ne pas montrer de « points de vue alternatifs ».
3) Impacts sur la santé et la sécurité
Depuis février, ce sont des dizaines de milliers de personnes associées aux secteurs de la santé, qui ont appris du jour au lendemain qu’elles perdaient leur emploi au gouvernement. Selon des informations éparses recueillies par divers médias, cela inclut aussi bien des experts en inspection des aliments que des spécialistes de l’intelligence artificielle ou de la santé des femmes enceintes.
Là encore, l’impact ne pourra pas être mesuré avant des mois. Certains employés spécialisés ont été réembauchés dans les jours qui ont suivi.
Mais certaines annonces auront, elles des impacts immédiatement perceptibles:
- Le nouveau programme sur la lutte aviaire, rapporte STAT News, se concentrera désormais sur les menaces à l’économie plutôt que sur les menaces pour la santé humaine
- La guerre entamée contre l’Université Columbia a entraîné l’interruption d’un projet de recherche majeur sur le diabète qui consistait en un suivi de patients en continu depuis 30 ans
- Et dans l’immédiat, les coupes dans l’inspection des aliments et dans les chiens dépisteurs de parasites ont eu pour conséquence, ces dernières semaines, que des quantités indéterminées de nourriture en attente de livraison dans les ports du pays, ont été perdues.
4) Impacts sur l’environnement
Ici aussi, les impacts ne pourront être mesurés que dans des mois, voire des années. Par exemple:
- Le nouveau directeur de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a annoncé le 12 mars qu’il mettrait la hache dans 31 règlements limitant la pollution des centrales au charbon, des automobiles ou des usines, entre autres. Selon une analyse du quotidien The Guardian, l’abolition de ces mesures antipollution signifierait 200 000 décès supplémentaires sur 25 ans.
- La fermeture par l’EPA de ses bureaux régionaux dévolus à la justice climatique: soit les efforts du gouvernement fédéral pour lutter contre la pollution affectant les populations les plus défavorisées.
- Les coupures à l’aide au développement signifient, en plus de la santé, une réduction de 10% des fonds alloués à l’adaptation des pays les plus pauvres aux changements climatiques, selon une analyse du magazine Carbon Brief.
- Quant aux coupes dans la fonction publique, elles se traduisent, en environnement, par des coupes dans l’agence d’étude des océans et de l’atmosphère (NOAA), dans le Service météorologique national et dans la recherche scientifique à l’EPA. Les impacts seront multiples, surtout à la NOAA dont les responsabilités sont nombreuses (suivi des pêcheries, des ouragans, des tempêtes solaires, etc.) : mais dans le document Projet 2025, qui est devenu la feuille de route de la première année de l’administration Trump, le démantèlement de la NOAA était carrément recommandé, ses auteurs la considérant comme un « chef de file » de ce qu’ils appelaient « les alarmistes du climat ».
5) Impacts sur la confiance du public dans la science
- La nomination d’un antivaccin, Robert F. Kennedy Jr, à la tête du département de la Santé, ne contribuera certainement pas à rehausser la confiance dans les vaccins chez cette fraction de la population qui était déjà méfiante ou inquiète.
- De la même façon, l’annonce que son ministère lance une étude pour déterminer « d’ici septembre » les causes de l’autisme, s’inscrit dans un contexte où Kennedy lui-même a souvent affirmé sa conviction que les vaccins causent l’autisme. La personne qui a été nommée pour coordonner cette étude a elle-même affirmé que les vaccins causent l’autisme.
- L’éclosion de rougeole au Texas était commencée avant que Kennedy n’entre en poste. Mais le décès, pour la première fois en 10 ans aux États-Unis, d’un enfant à cause de la rougeole, puis d’un deuxième, puis d’un adulte, constitue un signal d’alarme: le taux de vaccination infantile était déjà en baisse avant la COVID, et la nouvelle administration a jusqu’ici envoyé des signaux comme quoi elle ne ferait plus de la promotion de la vaccination une priorité.
- Plus largement, les attaques contre les universités depuis janvier s’inscrivent dans une tendance lourde: les établissements d’enseignement supérieur sont présentés depuis quelques années, par des élus et des influenceurs conservateurs, comme des bastions « woke » dont il reviendrait soi-disant aux autorités politiques de contrôler l’enseignement et la recherche. Dès février, on apprenait que plusieurs universités mettaient sur pause les inscriptions aux études de maîtrise ou de doctorat.