Après les attaques contre les universités, contre les subventions de recherches et contre la liberté d’expression sur les campus, les revues scientifiques seront-elles à leur tour ciblées? Cinq d’entre elles ont rapporté ces derniers jours avoir reçu une lettre d’un procureur républicain, suggérant qu’elles « trompaient » leurs lecteurs en « censurant » les « points de vue alternatifs ».
La plus prestigieuse revue à avoir dit publiquement avoir reçu une telle lettre est le New England Journal of Medicine (NEJM). Cette lettre, rapportait le magazine STAT News le 23 avril, émanait du procureur du district englobant la ville de Washington, Edward Martin, qui vient tout juste d’être nommé à ce poste par Donald Trump. Le NEJM, qui existe depuis plus de 200 ans, publie des recherches révisées par les pairs —c’est-à-dire que toute recherche publiée a été au préalable relue et révisée par des experts du même domaine. Le NEJM a répondu au procureur en réaffirmant son engagement à publier des conclusions basées sur des preuves.
La première revue scientifique à avoir signalé une telle lettre, le 14 avril, avait été Chest, du Collège américain de médecine pulmonaires. Dans cette lettre, obtenue par le New York Times, Edward Martin écrivait: « il a été porté à mon attention que de plus en plus de journaux et de publications comme Chest admettent qu’ils sont partisans dans différents débats scientifiques ». Aucun exemple n’était donné quant à ce que voudrait dire de la « partisanerie » dans la médecine pulmonaire. Mais le procureur demandait si la revue acceptait des articles présentant des « points de vue contraires », donnant ainsi l’impression qu’il confondait une étude avec une lettre d’opinion.
De « l’intimidation politique flagrante »
Au-delà de cette confusion, c’est toutefois une attaque contre la liberté éditoriale de ces revues qui se dessine, ont commenté plusieurs chercheurs depuis le 14 avril. Pour le médecin pulmonaire Adam Gaffney, cette lettre est de « l’intimidation politique flagrante ». Le rédacteur en chef du NEJM a également décrit la lettre comme étant « vaguement menaçante ».
« Notre travail, poursuit le Dr Eric Rubin, est d’évaluer la science et de l’évaluer d’une façon non biaisée. C’est ce que nous faisons et je pense que nous le faisons bien. »
Selon un article du service d’information MedPage Today, en date du 18 avril, au moins deux autres revues avaient à ce moment reçu une lettre similaire: l’une était Obstetrics and Gynecology, publiée par le Collège américain des obstétriciens et gynécologues, et l’autre ne souhaitait pas être nommée. En plus du NEJM, une autre s’est ajoutée à la liste ensuite. MedPage Today interrogeait un avocat spécialisé dans les questions de liberté d’expression, JT Morris, pour qui « les décisions éditoriales d’une publication ne regardent pas le gouvernement, qu’il s’agisse d’un journal ou d’une revue médicale ».
La revue médicale The Lancet, qui est basée au Royaume-Uni, a publié le 26 avril un éditorial manifestant sa solidarité avec ses collègues américains « qui font l’objet d’intimidations de l’administration Trump ».
« Les journaux médicaux ne devraient pas s’attendre à être épargnés par les attaques » en cours contre la science depuis trois mois. « Bien que les risques auxquels font face les fonctionnaires et les universitaires soient réels et qu’il soit naturel d’en avoir peur, les intimidateurs sont seulement enhardis par le consentement ou par l’indifférence. »
Le nom d’Edward Martin est apparu dans l’actualité à la mi-avril, au moment de sa nomination comme procureur, lorsque plusieurs médias ont réalisé que, de 2016 à 2024, il était apparu au moins 150 fois sur les chaînes d’État russes RT et Sputnik, dans bien des cas pour y défendre les politiques du gouvernement russe, ou pour y dénoncer les limitations à la liberté de parole… aux États-Unis.