Deux démissions de haut niveau donnent une idée de ce qui se trame au sein des agences responsables de la santé aux États-Unis. La première personne était le plus haut responsable scientifique de la vaccination à l’agence fédérale des médicaments (FDA). L’autre étudiait depuis 21 ans la façon dont les régimes alimentaires affectent notre santé.
Le premier, le Dr Peter Marks, avait annoncé le 28 mars sa démission « sous la pression »: il écrivait dans sa lettre que les prises de position sur les vaccins de son patron, le nouveau secrétaire à la Santé Robert F. Kennedy Jr (RFK), étaient « irresponsables » et « posaient un danger pour le public ».
La démission de Peter Marks avait renforcé l’inquiétude des experts en santé publique, en particulier parce qu’elle survenait la même semaine où on avait appris la nomination par RFK de l’antivaccin — et allié personnel de longue date — David Geier, pour mener une analyse des données sur les vaccins et l’autisme.
Le deuxième démissionnaire, Kevin Hall, a annoncé le 16 avril son départ du National Institutes of Health (NIH), le principal organisme subventionnaire de la recherche en santé aux États-Unis. Il y était un expert de 21 ans des liens entre nutrition et santé, et particulièrement un expert des effets néfastes des aliments ultra-transformés. Il s’agit pourtant là d’intérêts qui semblent rejoindre ceux de RFK, mais en entrevue au New York Times et à CNN, Marks révèle avoir été la cible d’efforts, depuis février, pour censurer ses propos ou s’ingérer dans son travail de chercheur.
Au fil de sa carrière, Peter Marks avait été impliqué dans l’amélioration de la sécurité des réserves de sang du pays et dans l’amélioration de la réponse aux urgences de santé publique. Et sur ce dernier plan, à titre de plus haute autorité scientifique sur les vaccins aux États-Unis, il avait été à la tête de l’Opération Warp Speed, un investissement massif qui, en 2020, a permis la création rapide de vaccins contre la COVID — et un investissement qui, ironiquement, s’était fait sous la première présidence de Donald Trump. Mais il semble que ça n’ait pas suffi à lui valoir l’estime de RFK, dont les prises de position antivaccins remontent à plus d’une décennie. Selon plusieurs médias, on aurait donné à Peter Marks le choix de démissionner ou d’être mis à pied.
Rappeler l’importance… des vaccins
C’en est au point où Peter Marks a senti le besoin, dans sa lettre de démission du 28 mars, de rappeler les avancées historiques qu’ont représenté les vaccins au 20e siècle et qui ont permis de sauver « des millions de vies ». Pour ensuite ajouter que « les efforts présentement mis de l’avant par certains » pour exagérer l’importance des effets secondaires de la vaccination « sont préoccupants ».
« L’éclosion de rougeole en cours dans plusieurs États, qui est particulièrement sévère au Texas, nous rappelle ce qui arrive lorsqu’on mine la confiance du public dans la science sous-jacente à la santé publique. »
En entrevue dans différents médias, il était allé plus loin à propos de RFK: « cet homme ne se soucie pas de la vérité. Il se soucie de ce qui lui apportera des abonnés » (followers).
Quant à Kevin Hall, il avait co-signé en mars une étude concluant que les aliments ultra-transformés créent une dépendance, mais une forme de dépendance différente de celle attribuée aux drogues. Il semblerait que cette nuance ait suffi à lui nuire, le NIH ayant d’abord refusé les demandes d’entrevues par des journalistes qui lui avaient été envoyées, et ayant ensuite réécrit les réponses écrites soumises aux journalistes par Hall. Cette censure, juge Hall, entre en contradiction avec les promesses de « transparence radicale » affichées par RFK après son entrée en poste.
Bien qu’il n’en parle pas, cette contradiction n’est toutefois pas une surprise, dans un contexte où des subventions de recherches ont été suspendues depuis deux mois pour cause de « mots interdits », et où des universités sont actuellement sous pression, pour des motifs qui mettent en jeu leur liberté d’expression.
Les nouvelles de la démission de Kevin Hall ont été elles aussi mal accueillies chez les experts, particulièrement ceux qui espéraient que, indépendamment des controverses qui accompagnent RFK, les problèmes de nutrition et de maladies chroniques liées à l’obésité, obtiendraient l’attention qu’elles méritent. Ces nouvelles arrivent aussi dans un contexte où, depuis le début du mois, le département de la Santé a entamé des coupures qui pourraient toucher plus de 10 000 personnes — quoique personne ne semble connaître la cible exacte.