Si la tendance se maintient, Alexandre Boulerice, député néodémocrate de Rosemont–La-Petite-Patrie, sera aisément réélu, lors des élections fédérales du 28 avril. Mais si la tendance se maintient, justement, le Montréalais pourrait être l’un des rares rescapés d’un parti décimé, et peut-être même sans chef. Rencontre.
« Ça va bien! », lance pourtant, en riant, le principal intéressé, dans une entrevue téléphonique accordée à Pieuvre.
« Cela fait assez longtemps que je fais de la politique; j’ai vu des ascensions, des descentes, des stagnations, des stabilisations… Alors, ça va bien, parce que moi, déjà, je fais campagne dans Rosemont–La-Petite-Patrie. Dans la rue, au porte-à-porte, les gens ont un bon souvenir du travail que nous avons fait au cours des dernières années. »
Dans le cadre de l’accord conclu avec le gouvernement libéral de Justin Trudeau, après le scrutin de 2021 qui a donné des résultats quasi identiques à celui de 2019, les troupes de Jagmeet Singh ont effectivement fait pression sur les libéraux pour faire adopter divers programmes s’inscrivant dans la plateforme néodémocrate, notamment un régime fédéral de soins dentaires pour les aînés.
« Les gens savent que c’est grâce à nous et à notre travail; c’est sûr que dans Rosemont, l’appui est là », poursuit M. Boulerice.
Mais si l’agrégateur 338Canada donne M. Boulerice gagnant dans son comté, avec 47% d’intentions de vote, environ, à l’échelle fédérale, les libéraux dirigés par le nouveau chef Mark Carney seraient en voie de remporter 193 sièges, soit 21 de plus que le minimum pour former un gouvernement majoritaire.
Le Nouveau Parti démocratique (NPD), lui, n’en gagnerait que huit, dont un seul au Québec.
« Il faut prendre les sondages avec un grain de sel; en 2011, les sondeurs s’étaient trompés de 20 [points de pourcentage] dans Rosemont–La-Petite-Patrie », rappelle toutefois M. Boulerice, en référence à la « vague orange ». Sous Jack Layton, le NPD avait raflé plus d’une centaine de sièges, devenant du même coup l’opposition officielle à Ottawa.
Soyons cependant bien honnêtes: l’arrivée de M. Trump a tout bouleversé; cela n’a pas juste changé les élections fédérales canadiennes, mais aussi les relations commerciales internationales, ainsi que le droit international.
-Alexandre Boulerice, candidat du NPD dans Rosemont–La-Petite-Patrie
De l’avis de M. Boulerice, donc, « il y a trois ou quatre mois, si quelqu’un avait dit que le NPD est à risque d’effondrement, le Bloc va baisser, les conservateurs qui tablaient sur 220 députés pourraient demeurer dans l’opposition officielle, et les libéraux pourraient probablement gagner un quatrième mandat, probablement qu’on lui aurait dit d’aller consulter ».
Et toujours selon le néodémocrate, « le départ de M. Trudeau, dans cette situation, fait que M. Carney, qui était inconnu de la plupart des gens, nous apparaît comme quelqu’un de rassurant et de compétent, face à un Trump imprévisible et dangereux. Et cela semble suffire, pour le moment ».
Mais il y a peut-être anguille sous roche, croit M. Boulerice: « Moi je dis « attention ». Quand, à la mort de [Jim] Flaherty (ancien ministre des finances sous Stephen Harper, NDLR), M. Carney s’est fait offrir son poste, cela veut dire qu’il n’est pas tellement loin des idées de M. Harper. Et donc, qu’est-ce qu’il nous réserve, M. Carney, si on lui donne les clés du pouvoir? Je me méfie un peu. »
Le député sortant et candidat à sa propre réélection convient toutefois d’une chose: « La perspective d’un gouvernement NPD n’est plus vraiment dans les cartons. Si on continuait à dire ça, personne ne nous écouterait. »
M. Boulerice souhaite cependant que la population « envoie une forte délégation de députés du NPD à la Chambre des communes pour surveiller Mark Carney s’il devient premier ministre ».
L’objectif serait donc, en gros, de revenir à une situation similaire à celle de 2021 à 2025: un gouvernement libéral minoritaire, où le NPD aurait la balance du pouvoir… et donc la capacité de faire avancer ses propres priorités.
« Nous avons prouvé que nous étions capables, jusqu’à un certain point, de travailler avec les libéraux minoritaires durant le dernier mandat. Cela a donné des résultats. Moi, je viens du milieu syndical; cela fait 50 ans que nous demandions une loi anti-briseurs de grève, à l’échelle fédérale. Je l’ai négociée avec le ministre du Travail; cette loi est maintenant en vigueur », a encore indiqué le candidat.
« Nous avons utilisé notre rapport de force pour obtenir des gains », a poursuivi M. Boulerice, en évoquant aussi des avancées en matière de logement, notamment. « Pendant ce temps, le Bloc et les conservateurs n’ont rien obtenu. »
Mais gains néodémocrates ou non, les effets de cette collaboration ne se sont pas traduits en intentions de vote, reconnaît le député sortant.
« Nous étions au fait de ce risque; nous nous sommes dit que nous allions essayer de passer le message qu’il existait une entente entre les libéraux et le NPD. Tout cela est public… Mais est-ce que les gens portent attention à cela, aujourd’hui? Parce que maintenant, c’est la guerre tarifaire, les menaces, les pertes d’emplois, M. Trump… S’il s’agissait d’une campagne électorale plus « normale », oui, cela aurait été plus facile d’avancer les arguments [de la collaboration entre les deux partis]. Et de leur côté, les libéraux s’octroient le crédit de ces réalisations. Bon, ils tordent un peu la vérité, mais nous savions que cela pouvait se produire. »
« Mais nous avions pris la décision, à l’époque, que cela valait quand même la peine, entre autres pour les millions de personnes qui allaient pouvoir se payer le dentiste », juge Alexandre Boulerice.
Un village gaulois?
Après deux élections où M. Boulerice est le seul élu néodémocrate au Québec, la dernière trace de la « vague orange », justement, ce dernier se sent-il comme Astérix, entouré de camps retranchés romains?
« Cela fait un peu le château fort des progressistes de la gauche, cela fait un peu l’irréductible Gaulois, c’est vrai », lance-t-il.
Et Alexandre Boulerice dit travailler fort pour ne plus être le seul Québécois néodémocrate aux Communes, dès le 29 avril. Le parti concentre notamment ses efforts dans Laurier–Sainte-Marie, avec Nimâ Machouf. « Il y a trois mois, nous avions d’excellentes chances de gagner; aujourd’hui, c’est plus difficile, le vote stratégique est davantage dans la tête des gens, si je puis dire », a concédé M. Boulerice.
Par ailleurs, à l’extérieur de Montréal, dans le comté de Berthier-Maskinongé, l’ex-députée Ruth Ellen Brosseau, qui a siégé de 2011 à 2019, a repris du service.
« On donne un bon coup pour les deux prochaines semaines. On cible quand même des comtés où il y a une base électorale progressiste qui vote pour Projet Montréal, au municipal; qui vote Québec solidaire au provincial; les gens qui forment la famille proche, si je puis dire. »
Vers une course à la chefferie?
Si, tel que précédemment mentionné, le siège d’Alexandre Boulerice semble sûr, celui du chef Jagmeet Singh, lui, l’est moins: dans Burnaby Central, en Colombie-Britannique, M. Singh est en troisième place dans les intentions de vote, ex-aequo avec les conservateurs, et six points de pourcentage derrière les libéraux, selon les plus récentes tendances publiées par 338Canada.
Advenant une défaite dans cette circonscription, ou la perte de plus de la moitié de la députation, comme cela semble vouloir se produire, est-il temps d’une nouvelle course à la chefferie?
« Moi, je pense qu’il a de bonnes chances de conserver son compté », assure Alexandre Boulerice. « Il est très visible, sa notoriété est très grande, et les débats vont encore augmenter cela; les chefs ont généralement un avantage compétitif. Je pense que ça devrait aller. »
« Pour le reste, on verra comment iront les choses, le 29 avril; on aura des discussions au caucus, à l’interne; je vais vous donner la même réponse que je donne aux autres journalistes. Je ne vais pas m’avancer, on va prendre les résultats du 28, ça nous prend le plus de députés néodémocrates possible pour surveiller M. Carney et les libéraux, il nous faut la balance du pouvoir. »
Et en guise de conclusion, Alexandre Boulerice rappelle que la vague orange de Jack Layton a eu lieu à la quatrième tentative électorale de ce dernier comme chef du NPD. Le temps dira si Jagmeet Singh aura lui aussi droit à ce renversement de situation, ou s’il cèdera sa place avant une réussite similaire.