S’il vous prenait l’envie d’acheter un journal, en Chine, il y a une bonne chance que les articles qui y sont publiés contiennent une part de propagande gouvernementale se faisant passer pour de l’information, révèle une nouvelle étude codirigée par un spécialiste de l’Université de l’Oregon.
Selon Hannah Waight, professeure adjointe en sociologie, et ses collaborateurs, l’utilisation de propagande mise en place par l’État est en hausse, en Chine. Et il ne s’agirait pas seulement d’un outil visant à disséminer du contenu idéologique; cela servirait aussi à contrôler et restreindre d’autres types d’informations au-delà des idéaux politiques, y compris des informations à propos des catastrophes naturelles et des problèmes de santé publique dans le pays, affirment les chercheurs.
« Lors de journées particulièrement importantes, jusqu’à 30% des contenus des grands journaux chinois sont de l’information « plantée » par le gouvernement », soutient la Pre Waight.
« L’utilisation de la propagande évince le journalisme indépendant et retarde la transmission d’informations en temps de crise, comme c’est le cas lors de tremblements de terre, par exemple, ou comme ce fut le cas au début de la pandémie de COVID-19. »
L’étude rapporte que la propagande se retrouvant dans les kiosques à journaux est une occurence quasi quotidienne en Chine, avec une forme de propagande scriptée recensée dans les médias environ 90% du temps. Et, écrivent les chercheurs, en moyenne, au moins un article se retrouvant en Une des journaux du Parti est « planté » par le gouvernement, ce qui représente une multiplication par quatre de ce type d’occurence, depuis une décennie.
Ces travaux ont été publiés dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
Cela fait longtemps que les gouvernements autocratiques utilisent la propagande pour influencer les médias, soutient Mme Waight, mais ces campagnes d’influence sont difficiles à détecter; les chercheurs ont donc utilisé une nouvelle méthode qui permet, disent-ils, de mieux détecter la propagande en Chine.
La méthode en question offrirait ainsi l’occasion d’identifier les instances où les journaux ont suivi le « scénario » du gouvernement, ou ont été forcés de couvrir un sujet d’une certaine manière.
L’équipe de recherche a employé cette façon de faire pour analyser « des millions d’articles » pendant la période allant de 2012 à 2022, qui est aussi le moment où le président Xi Jinping a consolidé son pouvoir autoritaire.
Afin de s’assurer de l’exactitude de leurs résultats, les spécialistes ont comparé le tout avec des documents secrets obtenus auprès de China Digital Times, une organisation médiatique sise aux États-Unis.
Ces documents contiennent des directives gouvernementales à propos de ce que les journaux devraient imprimer.
De fait, l’analyse comparative a confirmé que l’approche des chercheurs permettait bel et bien d’identifier de la propagande.
Plus que de l’idéologie
Toujours selon la Pre Waight, la nouvelle étude a tenu compte d’une définition élargie du terme « propagande », pour aller au-delà des questions idéologiques.
En examinant les procédés employés par Pékin pour intervenir dans l’environnement médiatique, Mme Waight et ses collègues ont découvert que les scripts de l’État portent sur une vaste série de sujets.
Entre autres exemples, les chercheurs ont constaté que le gouvernement cherchait notamment à contrôler comment les médias parlent des tremblements de terre qui surviennent dans le pays, dans la foulée du séisme de 2008 dans le Sichuan, qui a fait près de 90 000 morts et des millions de sans-abri. Pékin avait alors été vivement critiquée et avait été visée par des allégations voulant que des infrastructures publiques déficientes et des bâtiments mal construits avaient contribué à cette dévastation massive.
Depuis, la couverture médiatique des tremblements de terre en Chine a perdu de l’ampleur, et lorsque des médias parlent des séismes, ils s’appuient de plus en plus sur les scripts fournis par le gouvernement.
La situation était similaire après l’apparition du virus de la COVID-19 et la mise en quarantaine de la ville de Wuhan, en janvier 2020. On trouve peu d’informations au sujet de cet événement dans les principaux médias, malgré le fait que des données provenant des moteurs de recherche révèlent que le public se posait des questions à propos de cette crise de santé publique.
« Notre étude démontre donc que la propagande va au-delà de l’idéologie, et porte aussi sur des sujets particulièrement délicats, comme la pandémie », mentionne encore la Pre Waight.