Un scientifique américain qui mène des recherches sur la désinformation, l’éducation à l’information ou la censure… risque d’être censuré par la nouvelle administration.
Et les experts de ces domaines le voyaient venir: parce que les recherches universitaires des dernières années ont révélé, statistiques à l’appui, que les fausses informations sur les réseaux sociaux émanaient plus souvent de la droite radicale que de la gauche, des élus républicains ont choisi de blâmer la recherche universitaire. À présent, celle-ci semble être sur le point d’en payer le prix : dans un courriel envoyé mercredi, 26 mars, le nouveau directeur du NIH —National Institutes of Health, un des plus gros organismes subventionnaires de la recherche dans le monde— demande à ce qu’on lui rassemble une liste de subventions de recherches liées à « la lutte contre la mésinformation et la désinformation ». Le courriel contient une liste de mots-clefs à repérer, incluant media literacy (éducation aux médias), désinformation et « médias sociaux ».
Ce courriel s’ajoute à une liste de plus en plus longue d’instructions envoyées par différentes agences gouvernementales à leurs employés ces deux derniers mois, et contenant elles aussi des mots-clefs à chercher dans des subventions de recherche en cours d’examen, ou même déjà attribuées — ainsi que dans les sites web, les infolettres ou toute communication gouvernementale. Les premiers échos de telles listes, en janvier, faisaient état de mots comme « diversité » ou « inclusion » —en référence aux politiques de discrimination positive en emploi— ainsi que de mots comme « transgenre », « inégalités raciales » et même « femmes ».
S’y sont rapidement ajoutés des mots comme « changements climatiques » et même, la semaine dernière, « vaccin à ARN » — ce dernier ayant été une des bêtes noires des mouvements antivaccins pendant la COVID.
La pandémie « effacée »?
C’est en fait tout ce qui entoure la COVID qui semble voué à passer dans le tordeur: selon un document interne du NIH obtenu plus tôt cette semaine par les revues Nature et Science, l’allocation de subventions pour des recherches sur la COVID devrait dès maintenant prendre fin: « à présent que la pandémie est terminée, [ces] subventions de recherche ne sont plus nécessaires ». Cela inclut des recherches sur de nouveaux traitements contre la COVID, mais aussi sur de nouveaux médicaments antiviraux susceptibles de servir contre d’autres pandémies ou contre d’autres coronavirus susceptibles d’être un jour transmis de l’animal à l’humain —le New York Times a identifié, le 26 mars, neuf recherches annulées à ce sujet. Cela inclut aussi des recherches sur le phénomène de l’hésitation vaccinale.
Le courriel envoyé mercredi par le nouveau directeur du NIH, l’économiste Jay Bhattacharya, marqué « urgent », est encore plus explicite. Il entremêle les mots-clefs sur la désinformation et l’éducation aux médias avec d’autres mots-clefs à cibler, qui réfèrent tous à des aspects de la lutte contre la COVID ayant fait partie eux aussi des bêtes noires de certains groupes pendant la pandémie: « distanciation sociale, confinement, masques ».
Pour Bhattacharya, ces mesures sont censé avoir pour but de « mettre fin à la censure en science ». Mais depuis janvier, ces mots-clefs se sont plutôt traduits par la disparition de plusieurs milliers de pages web des sites gouvernementaux consacrés aux changements climatiques ou aux vaccins, à l’annulation de rencontres scientifiques et de recherches scientifiques, chaque fois avec pour seule justification qu’elles ne se conforment pas aux « directives » de la nouvelle administration. Les documents internes du NIH obtenus cette semaine ciblent aussi, comme recherches à interrompre, celles sur la Chine, sur l’Afrique du sud, et sur les changements climatiques.