Les interdictions de livres, chez l’Oncle Sam, auraient paradoxalement des effets positifs sur les ventes; voilà les résultats étonnants portant sur les plus de 1600 ouvrages qui ont été retirés des écoles et bibliothèques, entre 2021 et 2022, à la demande de parents, groupes de pression, élus, etc.
De fait, ce qui a débuté comme une volonté d’interdire des livres en raison de thèmes spécifiques – l’appartenance ethnique, le genre ou la sexualité – s’est transformé en un outil inattendu de promotion d’auteurs et de politiciens moins connus, affirme-t-on.
Dans des travaux à paraître dans Marketing Science, le professeur adjoint Sabari Rajan Karmegam, de l’Université George Mason, dit avoir constaté une croissance de 12% des ventes des 25 livres les plus souvent interdits.
Pour parvenir à cette conclusion, le Pr Karmegam s’est appuyé sur les données de circulation des livres dans les bibliothèques de 38 États, en s’intéressant surtout aux titres les plus fréquemment mis à l’index, tels qu’identifiés par l’organisation PEN America et l’American Library Association.
Selon le chercheur, l’objectif, à la base, n’était pas de se pencher sur la rhétorique politique ou la guerre culturelle au sein de l’électorat américain. « Nous ne nous sommes pas limités à ces questions. Nous nous sommes spécifiquement intéressés à tous les livres interdits, mais nous avons constaté que la majorité d’entre eux portaient sur des enjeux liés à la communauté LGBTQ+, à l’appartenance ethnique, ainsi qu’au genre », a-t-il déclaré.
En examinant les données recueillies, il est apparu que ces thèmes étaient ainsi présents dans la plupart des ouvrages mis à l’index, ce qui révèle des implications politiques importantes.
En raison de la controverse entourant leurs ouvrages, des auteurs moins connus dont les titres ont été ajoutés à des listes d’interdiction de grande envergure – c’est-à-dire des livres qui regroupent des livres au contenu polarisant et qui ont été placés à l’index dans plusieurs États – ont à gagner de l’effet publicitaire positif. Ainsi, ces interdictions, si elles visent à restreindre l’accès aux livres, ont plutôt largement gonflé leur lectorat.
Le web, un terreau fertile
Ainsi, les médias sociaux, notamment Twitter/X, ont joué un rôle clé pour accroître la visibilité de ces ouvrages. Les livres interdits dont il a largement été question, sur les plateformes numériques, ont même profité de tirages encore plus importants. « Ce que nous avons vu, c’est que ces interdictions mènent à la découverte de ces titres par des publics relativement nouveaux », mentionne le Pr Karmegam.
« Et nous constatons que lorsque leur visibilité augmente, lorsque l’on discute davantage de ces livres, le fait qu’ils soient interdits les rend plus désirables, ou fait en sorte que plus de gens veulent les lire. »
Par exemple, en utilisant les données de ventes d’Amazon et des outils de conversion accessibles au public, les chercheurs ont estimé que les livres interdits pouvaient avoir cumulé de 90 à 360 copies supplémentaires vendues, chaque mois, uniquement du côté d’Amazon. Cela représenterait une augmentation moyenne de 41%, par rapport à la période précédant l’interdiction.
Si les mises à l’index n’atteignent pas leur objectif principal, c’est-à-dire de nuire à la popularité et la rentabilité des livres, pourquoi en compte-t-on encore autant? L’étude menée par le Pr Karmegam démontre que les démocrates et les républicains utilisent tous deux les interdictions comme des instruments politiques, enchâssant ainsi ces gestes au sein d’une guerre culturelle plus vaste.
Cependant, la grande majorité des interdictions – et des bénéfices – ont été recensées du côté républicain. « Une analyse de 245 courriels appelant à faire des dons politiques a révélé que 90% des messages liés à des mises à l’index avaient été envoyés par des républicains, qui ont évoqué cette question comme étant un enjeu lié aux droits des parents », indique le professeur.
Cette mobilisation a mené à une hausse de 30% des petits montants versés aux candidats républicains, après l’annonce de l’interdiction d’un livre, soit environ 800$ en plus, chaque mois, par candidat. Cet effet, écrit-on dans l’étude, est largement confiné aux États conservateurs.
Désireux de ne pas manquer le bateau, certains candidats démocrates ont aussi utilisé les mises à l’index comme un outil pour tenter de mobiliser leur base électorale. Dans leur cas, leur stratégie a consisté à se définir comme des défenseurs de la liberté d’expression, mais ces démarches ne se sont pas traduites en un soutien financier comparable.
« Cela porte à croire que si les interdictions de livres sont un enjeu politique important, les démocrates ont eu de la difficulté à transposer le discours de la sphère publique en des contributions financières substantielles. À l’opposé, les républicains sont parvenus à mobiliser leur base via des messages ciblés », conclut le Pr Karmegam.