Il y a 5 ans, le 18 mars 2020, était publiée une étude dont l’impact serait démesuré par rapport à ses faiblesses méthodologiques. Aujourd’hui encore, ses partisans continuent de citer le « protocole Raoult », sans savoir qu’il réfère à des premiers résultats qui ne portaient que sur 26 personnes, dont une était morte.
L’emballement autour de l’hydroxychloroquine avait en fait commencé autour de vidéos YouTube mises en ligne par l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, dont le microbiologiste français Didier Raoult était la vedette. À la mi-février 2020, celui-ci avait déclaré à propos de l’épidémie de coronavirus alors amorcée en Chine qu’elle représentait « beaucoup de bruit pour pas grand-chose ». La vidéo était intitulée « Coronavirus : moins de morts que par accidents de trottinette ».
Il en était tellement convaincu que, le 25 février, dans une autre vidéo, il montait en épingle une publication scientifique parue une semaine plus tôt, dans laquelle des chercheurs chinois auraient découvert qu’une molécule, la chloroquine, était efficace contre le coronavirus. Raoult parlait « d’amélioration spectaculaire ». Le titre original de sa vidéo était « Coronavirus, fin de partie », il serait plus tard modifié en un plus prudent « Coronavirus, vers une sortie de crise? »
Le problème était que les chercheurs chinois n’y parlaient nulle part d’amélioration spectaculaire, tout au plus « d’efficacité apparente » et encore, en éprouvette (in vitro).
L’étude qui a tout déclenché
Le 18 mars donc, paraissent les résultats d’une étude préliminaire menée à Marseille: 26 personnes, dont seulement 20 avaient été suivies (entre autres parce qu’un des six autres… était mort). Les résultats étaient, à tort, présentés comme positifs. L’emballement médiatique était né. La rumeur d’un remède contre la pandémie serait relayée jusqu’à Washington, par Donald Trump, le 21 mars. Pendant ce temps, tous les experts qui lisaient l’étude notaient ses faiblesses méthodologiques évidentes (trop petit nombre de gens, tests de dépistage du virus qui étaient contradictoires d’un jour à l’autre, des protocoles différents et des charges virales inconnues).
Dès avril, les résultats préliminaires de deux études plus importantes venaient refroidir les ardeurs. La première, menée au Brésil sur 81 personnes, cherchait à comparer deux niveaux d’utilisation de la chloroquine, à « forte dose » et à « faible dose ». La forte dose pouvait être associée à un type d’arythmie cardiaque grave. La deuxième étude, menée aux États-Unis sur 368 vétérans de l’armée américaine, ne montrait aucune efficacité chez le groupe qui avait reçu le médicament —en fait, le taux de mortalité le plus bas était chez le groupe qui n’avait pas reçu le médicament.
L’emballement médiatique avait toutefois son effet. Outre que les pharmacies étaient soudain en manque de chloroquine, au début de mai, on recensait une centaine d’essais cliniques en cours dans un coin ou l’autre de la planète. Avant la fin de l’année, on dépasserait les 150. À un moment donné, des chercheurs s’indigneraient des ressources énormes consacrées à ce seul médicament, d’autant plus que les résultats allaient tous dans la même direction : il ne montrait aucune efficacité pour réduire le taux d’hospitalisation ou le nombre de décès chez les patients infectés par le coronavirus.
Mais rapidement, ça avait cessé d’être un débat scientifique. La croyance en l’hydroxychloroquine était devenue un symbole pour des mouvements anti-système, antivaccins ou carrément politiques. Quiconque critiquait Didier Raoult se retrouvait harcelé ou menacé sur les réseaux sociaux, voire la cible d’attaques haineuses —y compris des attaques déclenchées par certains des proches collaborateurs du microbiologiste de Marseille.
Didier Raoult a pris sa retraite de professeur en juin 2021 et a quitté son poste de directeur de l’IHU en août 2022. En juin 2023, Raoult et ses co-auteurs ont accepté de rétracter une étude pré-publiée deux mois plus tôt: celle-ci avait été dénoncée par 16 associations de médecins, qui reprochaient à l’IHU « la prescription systématique », aux patients atteints de COVID, de médicaments comme l’hydroxychloroquine ou l’ivermectine, « sans bases pharmacologiques solides et en l’absence de toute preuve d’efficacité », et ce pendant plus d’un an.
Raoult a également été rattrapé par son rythme anormalement rapide de publications au cours des années 2000 et 2010. Selon la compilation du site Retraction Watch, il a récemment atteint les 36 études rétractées et des dizaines d’autres sont sous enquête.