En 2020, on a comparé la pandémie de COVID, tantôt à la pandémie de grippe espagnole de 1918, tantôt à la polio ou au sida. Cinq ans plus tard, les historiens ont-ils le recul nécessaire pour juger?
Le premier parallèle qui vient à leur esprit est effectivement la grippe espagnole, résumait récemment le New York Times: ces deux pandémies furent « terrifiantes, ont tué un pourcentage substantiel de la population, au contraire de, par exemple, la polio, l’Ebola ou le sida, aussi terribles que puissent être ces maladies ». Rien qu’aux États-Unis, la grippe espagnole a tué 675 000 personnes ce qui, pour la population de l’époque, représentait 65 personnes par 10 000. La COVID en a tué 1 135 000, ou 34 personnes sur 10 000.
Et ce n’est pas le seul parallèle: les deux pandémies ont dominé les manchettes chaque jour pendant des mois, et toutes deux ont été repoussées comme un mauvais souvenir dès que le nombre de décès a diminué.
La maladie tue encore
Au point où, déplore l’historien de la médecine J. Alexander Navarro, de l’Université du Michigan, il n’y a « aucun monument commémoratif pour les victimes de la grippe espagnole, ni journée annuelle de souvenir ». La même chose s’est d’ores et déjà produite avec la COVID, même s’il a fallu plus de temps au virus pour reculer (en réalité, il continue encore de frapper: dans la semaine du 15 février, 273 Américains sont morts de la COVID; dans la dernière semaine de 2021, ils avaient été 10 476).
Mais l’historienne médicale Dora Vargha, de l’Université d’Exeter, elle, fait plutôt un parallèle avec la polio. C’est qu’il y a bel et bien un groupe important de gens qui n’ont pas oublié la COVID, parce qu’ils ont continué de vivre avec ses effets pendant des mois, voire vivent encore avec : ceux qui souffrent de COVID longue. Or, ceux qui ont contracté la paralysie à cause de la polio ont contribué eux aussi à ce que la maladie ne disparaisse pas tout à fait des mémoires. Ils sont en quelque sorte des survivants « de l’époque d’avant les vaccins ».
Mais la pression pour oublier est plus forte, et c’est un parallèle qu’on peut faire avec chaque période qui suit une grande alerte sanitaire: l’attitude la plus généralisée, résume l’historienne Mary Fissell, de l’Université Johns Hopkins, est de se dire « nous n’avons plus à nous en préoccuper ».
Ceci dit, il y avait un grand groupe de gens qui, alors même que la COVID faisait rage, affirmaient très fort qu’on n’avait pas à s’en préoccuper et qui rejetaient tout à la fois les masques, la distanciation, les confinements, ou plus largement, l’expertise médicale. Et ça, c’est une différence mesurable avec tout ce qui était survenu auparavant, juge Alexander Navarro: « en 1918, Il y avait une attitude respectueuse envers la science et la médecine, qui semble manquer aujourd’hui ».
Ce qui n’augure pas bien pour la prochaine épidémie, remarquent ces historiens.