Radio-Canada prend un risque plus ou moins calculé avec sa nouvelle proposition télévisuelle: L’indétectable. Une minisérie de six épisodes qui, par chance, est parvenue à devancer la réalité en nous confrontant à une possibilité qui pourrait tout chambouler. Nous avons eu le bonheur de voir les trois premiers épisodes et de participer à une table ronde avec ses principaux créateurs.
Passionné de technologies, le réalisateur Stéphane Lapointe continue sur sa lancée de suspenses, peu de temps après avoir présenté Corbeaux pour Illico+. De retour à Radio-Canada, où il a offert notamment Faits divers et Tout sur moi, en attendant la très attendue troisième saison de Avant le crash, dont rien n’est confirmé pour l’instant, il se joint pour la première fois au trio de scénaristes composé du couple Bernard Dansereau et Annie Piérard, ainsi que de leur fils Étienne Piérard-Dansereau, qui en sont à leur quatrième collaboration. Inutile de vous dire que la famille sera au coeur de l’intrigue.
Comme pour L’imposteur, c’est encore Étienne Piérard-Dansereau qui a eu l’idée de la thématique de départ. C’était il y a environ cinq ans, au moment où tout ce qui est discuté dans la série n’était pas autant d’actualité qu’aujourd’hui et que la majorité des concepts étaient encore nébuleux au sein de la population. Sauf qu’ils savaient qu’à la vitesse où tout avance, le temps était compté.
On nous le dit toutefois d’emblée, le but était de faire une série divertissante et accrocheuse pour tous, adeptes ou non du monde moderne, de son jargon et de ses complexités. Annie Piérard le précise d’ailleurs sans mal: « C’est une série sur l’humain, plutôt que sur la technologie. »
Ainsi, ce qui commence comme un drame familial et politique convenu tombe rapidement dans le vif du sujet: une vidéo compromettante vient ternir la réputation de celle qui aurait pu et dû être la nouvelle première ministre du Québec. Le hic? La vedette de cette vidéo nie son existence et prétend que rien de tout cela est vrai, qu’il s’agit d’un deepfake indétectable. Sauf qu’à en croire les experts, on est loin de la magouille de Brad Pitt et tout porte à croire que tout ceci est réel.
Histoire de brouiller à nouveau les cartes et les pistes, c’est lorsque la compagnie d’effets spéciaux montréalaise Efek entre en piste que l’intérêt se fait le plus proéminent et que ce qui n’est pour l’instant que de la fiction se met en place. C’est que la compagnie en péril a dans ses cartes le programme Mélios 3.0, nommé d’après George Méliès, l’un des pionniers du septième art, avec un but clair: offrir la possibilité de faire du cinéma avec seulement un ordinateur entre les doigts.
Refusant de s’en tenir aux faits et aux preuves, la fille de l’accusée décide de prendre les choses en main et se lance dans ses propres démarches pour innocenter sa mère.
Malgré le sujet dans l’air du temps, question de garder les spectateurs sur le bout de leur siège, on a quand même droit à quelques revirements abracadabrants. Pas aussi handicapants que la dernière fois que le trio a « prédit l’avenir » avec Épidémie qui, comme le premier projet du trio de scénaristes, était réalisé par Yan Lanouette Turgeon, mais assez pour s’amuser aux côtés de notre protagoniste, qui se transforme soudainement en Nikita séductrice, fonceuse et improvisée, elle qui était pourtant si timide et effacée.
On craque également pour le fait que la seule fille d’une famille de comptables, qui n’est pas bonne avec les chiffres, se trouve à endosser le titre d’une commis comptable, telle une espionne infiltrée des temps modernes.
Sauf qu’avec seulement six épisodes et aucun désir de poursuivre l’aventure dans d’autres saisons, tout va très vite et le calibre élevé de la distribution et de l’expertise réunis devant et derrière la caméra aide à mieux faire avaler la pilule et à ne pas trop s’attarder à quelques répliques un peu trop écrites.
Il faut dire que le talent de Sophie Nélisse n’est plus à prouver, elle qui a complètement conquis nos voisins du sud et le reste du monde avec Yellowjackets et on comprend assurément les producteurs d’avoir sauté sur la petite fenêtre qui leur a été offerte pour leur permettre de tourner avec elle durant l’automne dernier. C’était aussi l’occasion pour les auteurs de renouer avec la comédienne après Aller Simple: Survivre réalisée par Rafaël Ouellet.
Pour Annie Piérard, lorsque vient le temps de parler de Mme Nélisse: « on voit tout dans ses yeux » et c’est effectivement sa capacité d’agir comme caméléon qui est mise à l’honneur, alors que son personnage de Stéphanie alias Juliette Tourigny, se met de plus en plus dans une situation problématique au fil des épisodes.
À ses côtés, talent et diversité se côtoient. Si Pierre Curzi et Lynda Johnson en imposent avec facilité, on demeure particulièrement captivés par les Pierre-Paul Alain, Wiam Mokhtari, Xavier Malo, Jade Hassouné et Ève Lemieux qui s’avèrent tous très incarnés. On se plaira aussi à retrouver Shadi Janho, qu’on a principalement découvert sous les traits de Yunnis dans le 1995 de Ricardo Trogi. Histoire d’alléger l’ensemble, l’humour demeure volontairement présent, gracieuseté principalement de Kevin Houle, complètement dément dans ce rôle de personne détestable qui lui va comme un gant.
Stéphane Lapointe et ses collègues demeurent quand même clairs: le souci de véracité, bien que le terme demeure ironique dans le contexte, était important. Que la crédibilité prime tout en s’assurant la fluidité d’ensemble et d’amalgamer les déboires familiaux avec les avancées numériques. Sauf qu’ils sont conscients que fiction oblige, ils ne pourront jamais satisfaire tout le monde.
C’est donc sans mal qu’on se laisse guider par les mélodies de son fidèle comparse, le compositeur Jonathan Cayer, qui rythme les intrigues au fil de pulsions électros évoquant autant le travail de Daft Punk, Daniel Pemberton ou M83. Rapidement happés par le tourbillon de revirements et de situations alarmantes, passant du racisme au complotisme, on se rend accro à cette grande saga à petite échelle qui se dévorera sans mal par énormément de spectateurs.
Troublante d’actualité, un peu comme Veille sur moi le faisait dans un tout autre contexte, L’indétectable risque certainement d’enflammer de nombreux débats, et susciter de nouvelles craintes. Alors qu’elle sera présentée au prochain Festival Séries Mania dans deux semaines en Europe, gageons aussi que la série attirera l’attention dans plusieurs autres pays, comme c’était le cas de Épidémie.
Les trois premiers épisodes de la minisérie L’indétectable seront déposés dans l’Extra de Tou.tv dès ce jeudi 20 mars. Les trois derniers suivront une semaine plus tard, le jeudi 27 mars.
Les dates de sa diffusion sur les ondes de ICI Radio-Canada télé ne sont pas encore connues.