Quel créateur de pièce de théâtre ne rêve pas qu’une au moins de ses œuvres accède à la postérité et devienne un « classique »? N’est toutefois pas classique qui veut. Et c’est seulement le temps qui sanctionne les œuvres en les rangeant, ou pas, dans cette prestigieuse catégorie.
Intéressés par les multiples tendances des arts de la scène, dont le théâtre expérimental, Fanny Britt et Manu Soleymanu signent Classique(s), une pièce proposée au TNM, qui s’interroge sur ce qu’est une œuvre classique.
Ces auteurs ne sont pas les premiers à s’intéresser à ce sujet. Italo Calvino, en son temps, écrivit un ouvrage qui posait la même question. Et tous les critiques des grandes œuvres, finalement, traquent en filigrane la réponse à cette énigme, en puisant leurs sujets dans ce fond mal défini, bien que consensuel. Des tragédiens de l’Antiquité à certains auteurs du XXe siècle, en passant par Racine, Molière, Tchekhov ou Shakespeare… nul ne s’y trompe, on est dans le registre du théâtre classique.
La question demeure cependant entière. Qu’est-ce donc qui fait d’une pièce un classique? Et c’est ce dont discute la joyeuse troupe des huit acteurs de Classique(s), accompagnée de trois musiciens, plutôt classiques eux aussi; un moment agréable, mais qui ne fait pas vraiment avancer la question.
Pendant deux heures sans entracte, les artistes illustrent leurs propos par un pot-pourri d’extraits de tirades, mais aussi de la musique, des chansons (Shakespeare, lui-même, en incluait dans ses pièces), des exposés et des illustrations puisées dans la littérature, le cinéma, les séries télévisées ou l’actualité. Sur ce dernier point, ils font preuve de classicisme dans le mauvais sens du terme. Les réseaux sociaux, eux aussi, débordent de citations de Trump ou de ministres de l’État d’Israël. Parmi les parangons des horreurs contemporaines, les massacres et prises d’otages de civils ou les chartes assassines mises à exécution par des groupes de l’Islam radical inspireraient sans aucun doute de plus grands tragédiens.
Qu’est-ce donc qui fait qu’une œuvre est désormais classique ou pas? L’émotion transmise par ses acteurs ou ses créateurs? Charlie Chaplin, Vivaldi… Ses sujets? Les horreurs du monde ne manquent pas, hier comme aujourd’hui. Les complexités de la nature humaine qui entraînent les protagonistes vers leurs propres pertes? Au vu d’un récent ouvrage de Daniel Sibony, il me semble que Shakespeare aurait choisi cette dernière option. Elle n’est pas apparue comme la plus pertinente aux auteurs de Classique(s).
Être ou ne pas être classique? Les discussions vont bon train sur la scène entre les huit artistes, danseurs et même chanteurs (sans compter les musiciens). À travers une mise en scène relevée, tous tiennent leurs rôles avec brio.
Un moment particulièrement savoureux est celui du procès de l’humanité dans le style de la Commedia dell’arte. Dommage que deux témoins seulement soient entendus, car c’est le seul passage écrit un peu à la manière d’une pièce classique. Il aurait, selon moi, mérité d’être développé sans parti pris, si possible, au profit de ces explications assez basiques – certes teintées d’humour – sur les positions respectives des acteurs, des spectateurs et des transgressions que ce schéma classique peut susciter, encore aujourd’hui.
Classique(s)
Texte : Fanny Britt et Mani Soleymanlou
Mise en scène : Mani Soleymanlou
Création : Orange Noyée
Avec : Louise Cardinal, Martin Drainville, Kathleen Fortin, Julie Le Breton, Jean-Moïse Martin, Benoit Mc Ginnis, Madeleine Sarr et Mani Soleymanlou
Musiciens : Mélanie Bélair, Nicolas Boulay (en alternance), Rémi Cormier (en alternance), Alexis Elina, Annie Gadbois et Andy King (en alternance)
Scénographie : Martin Labrecque et Mani Soleymanlou
Lumière : Martin Labrecque
Musique : Philippe Brault
Costumes : Cynthia St-Gelais
Classique(s), du 11 mars au 10 avril au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal