Environ 150 cas de rougeole au Texas entre la fin-janvier et la fin-février, dont un décès. Plus de 175 en Ontario entre octobre 2024 et la fin-février 2025. Plus de 30 au Québec entre la mi-décembre et la fin-février. Il se trouve pourtant des commentateurs pour prétendre qu’on en parle trop, puisqu’on assisterait à de telles éclosions de rougeole tous les ans. Le Détecteur de rumeurs a vérifié les chiffres.
Les origines de la rumeur
L’affirmation la plus médiatisée a été celle du ministre américain de la Santé, Robert F. Kennedy Jr —qui est connu pour ses prises de position antivaccins. En réponse à une question d’un journaliste le 26 février sur l’éclosion de rougeole au Texas, qui venait alors de faire son premier mort, il a déclaré que « ce n’est pas inhabituel. Nous avons des éclosions de rougeole chaque année ».
RFK n’est pas le seul à juger que la situation n’est pas inhabituelle: une rapide recherche sur les réseaux sociaux révèle, ces dernières semaines, plusieurs commentateurs qui, en réaction aux dernières nouvelles, tentent eux aussi d’en minimiser la gravité.
Ce que disent les chiffres
L’Organisation mondiale de la santé définit comme « éclosion confirmée » la confirmation par des tests de laboratoire d’au moins deux cas qui sont « épidémiologiquement ou virologiquement liés ».
Au Québec, depuis 2001, le ministère de la Santé a recensé six éclosions de rougeole (2007, 2011, 2015, 2019, février-juin 2024 et décembre 2024). L’éclosion en cours depuis la mi-décembre est donc la deuxième en moins de 12 mois.
Depuis 2001, lorsqu’il n’y a pas d’éclosions, le Québec enregistre entre 0 et 4 cas de rougeole par année. Pour la plupart, il s’agit de gens qui ont acquis la maladie à l’étranger.
Dans le cas des années d’éclosions, la plus grave a été de loin 2011 (776 cas) suivie de 2015 (159 cas) et 2007 (99 cas). Pour l’instant, celle en cours est donc sous la moyenne, mais le fait qu’elle soit la deuxième éclosion en moins de 12 mois la rend inhabituelle, en regard du dernier quart de siècle.
Années d’éclosion de rougeole au Québec | Nombre de cas |
2007 | 99 |
2011 | 776 |
2015 | 159 |
2019 | 49 |
Février 2024 | 51 |
En Ontario, l’éclosion qui dépasse à présent les 175 cas est en cours depuis octobre 2024. Elle trouve son origine au Nouveau-Brunswick, où on a décrété la fin de cette épidémie le 7 janvier dernier. Mais la majorité des cas ontariens ont été observés depuis janvier (61 nouveaux rien qu’entre les 13 et 26 février). La grande majorité n’étaient pas vaccinés. Quelques cas ont également été récemment signalés dans la province voisine du Manitoba.
Par rapport au Québec, c’est donc une éclosion beaucoup plus importante. Pour l’Ontario, elle est également très inhabituelle, considérant qu’entre 2013 et 2023, l’Ontario avait recensé seulement 101 cas.
Enfin, dans l’ensemble des États-Unis, le nombre de cas suit, à long terme, une tendance à la hausse. Entre 2000 et 2010, il n’avait dépassé la centaine qu’à deux reprises. Tandis qu’entre 2011 et 2019, il a approché ou dépassé les 200 cas à six reprises (avec un pic de 1274 cas en 2019) selon le Centre de contrôle des maladies (CDC). La COVID a apporté un répit (que ce soit à cause de l’implantation de mesures sanitaires comme la distanciation et le port du masque, ou à cause d’un manque de tests de dépistage). Mais en 2024, le nombre de cas s’est établi à 285. Le Texas, avec ses 150 cas en seulement un mois (la première alerte est survenue le 23 janvier) est donc très inhabituel.
Par ailleurs, si on calcule le nombre d’éclosions plutôt que le nombre de cas, comme l’a fait le ministre Kennedy, le CDC —qui les définit comme étant 3 cas reliés entre eux ou plus) en a recensé 16 en 2024, contre seulement 4 en 2023. En 2025, on en compte déjà 3, en date du 27 février.
Les risques de décès de la rougeole
La rougeole est causée par un virus hautement contagieux qui se propage dans l’air lorsqu’une personne infectée tousse, éternue ou parle. Or le vaccin s’est révélé efficace pour prévenir l’infection et ses conséquences: les effets de la rougeole sur le système immunitaire rendent les enfants plus susceptibles de décéder d’autres maladies infectieuses. Avant l’introduction du vaccin contre la rougeole aux États-Unis en 1963, on comptait 3 à 4 millions de cas par année, entraînant 48 000 hospitalisations et 400 à 500 décès.
Au Texas, le ministère de la Santé local a annoncé le 26 février le décès d’un « enfant d’âge scolaire ». C’est le premier décès causé par la rougeole aux États-Unis depuis 2015. En fait, à la grandeur des États-Unis, la maladie avait été déclarée « éliminée » en 2000, la définition d’une « élimination » étant qu’il n’y avait plus d’éclosion depuis au moins un an.
On estime que dans 1 à 3 cas sur 1000, un enfant infecté peut mourir de complications respiratoires et neurologiques.
Dans un message publié sur X, le ministre Kennedy rétropédalait le 28 février: « je reconnais l’impact sérieux de cette éclosion sur les familles, les enfants et les travailleurs de la santé ». Et dans une lettre publiée sur le site de Fox News le 2 mars, il allait encore plus loin: « La rougeole est une maladie respiratoire hautement contagieuse, avec certains risques pour la santé, spécialement chez les individus non vaccinés ».
Le lien entre rougeole et non vaccinés
Un peu partout dans le monde en effet, on constate que les personnes diagnostiquées avec la rougeole sont en grande majorité non vaccinées. C’est la raison pour laquelle la diminution du taux de vaccination chez les enfants nord-américains inquiète les responsables de la santé publique.
Les derniers chiffres en Ontario sur le taux de vaccination sont sujets à débats, mais le taux est en diminution. Dans le cas des États-Unis, on sait que le comté du Texas où a débuté l’éclosion comptait 18% « d’exemptions », c’est-à-dire 18% des parents qui ont demandé à ce que leur enfant ne soit pas vacciné. À travers le pays, ces demandes d’exemptions sont souvent pour des raisons religieuses et au Texas, elles ont doublé entre 2018 et 2024, rapportait au début de février le Texas Tribune. De plus, cela s’inscrit dans un contexte de méfiance accrue de certains segments de la population face à la vaccination, voire face aux médecins. En Louisiane par exemple, un État gouvernè par le parti républicain, le ministère local de la Santé vient d’annoncer qu’il cesserait de faire la promotion des campagnes de vaccination.
Statistiquement, l’éclosion du Texas va tôt ou tard se répéter ailleurs: en Floride, le taux de vaccination contre la rougeole (2e dose) était tombé à 88% au début de l’année scolaire 2023-2024, tandis qu’en Georgie et au Wisconsin, il n’était plus que de 83%.
Verdict
Ce qui se passe au Texas et en Ontario est bel et bien inhabituel, par rapport aux statistiques des dernières décennies. De plus, là comme ailleurs, on remarque un nombre très élevé de personnes non vaccinées parmi les personnes infectées.