18 millions de cas de malaria supplémentaires par année, causant plus de 160 000 décès. Quelque 200 000 enfants paralysés chaque année à cause de la polio. Un million d’enfants sans traitements pour sévère malnutrition. C’est une première estimation des conséquences qu’aura l’interruption de l’aide américaine au développement.
Et cette estimation provient de l’intérieur même de l’agence américaine d’aide au développement (ou de ce qu’il en reste), par celui qui était administrateur adjoint pour la santé mondiale, et qui a été placé en « congé administratif » dimanche. Les mémorandums ont été obtenus par le New York Times puis par d’autres médias.
Ces estimations supposent que Washington ne reviendra pas sur sa décision, et que d’autres donateurs n’auront pas la capacité de prendre le relais des 44 milliards de dollars américains que les États-Unis versaient à travers leur agence, USAID. Tout au plus, a-t-on appris ces dernières semaines, certains philanthropes ont annoncé qu’ils allaient accroître leurs contributions. Plusieurs observateurs ont suggéré que la Chine pourrait vouloir profiter de l’opportunité pour remplir le vide. Mais il faudra du temps pour mettre en place de nouveaux mécanismes et en attendant, les paiements américains sont interrompus depuis le 24 janvier.
De l’argent qui s’est tari
Le secrétaire d’État Marco Rubio — ou ministre des Affaires étrangères, dont dépendait l’USAID — avait pourtant déclaré le 28 janvier que le financement pour l’aide humanitaire d’urgence était, lui, temporairement maintenu. Mais depuis, plusieurs sources ont déclaré que très peu d’argent continuait d’arriver. Selon les termes du décret entré en vigueur le 24 janvier, il s’agissait dune « suspension temporaire » des paiements, le temps de réviser les programmes. Mais le 26 février, l’administration a annoncé l’interruption définitive de quelque 5800 projets financés par l’USAID.
C’est dans le contexte de cette dernière décision que l’administrateur adjoint, Nicholas Enrich, avait décidé d’écrire un nouveau mémorandum, avant tout pour tenter de convaincre, chiffres à l’appui, ses supérieurs — deux personnes nommées par la nouvelle administration — que les fonds coupés étaient bel et bien pour de l’aide humanitaire d’urgence. L’interruption signifiait qu’il y aurait inévitablement un grand nombre de morts, écrivait-il dans ce mémo, envoyé le 28 février.
Tous les décès ne sont d’ailleurs pas mesurables, mais ils n’en sont pas moins « évitables »: sans ces fonds, par exemple, le risque est désormais plus élevé qu’une épidémie de mpox, de grippe aviaire ou même d’Ebola, passe plus longtemps sous le radar dans un pays en voie de développement, faute de pouvoir effectuer un suivi adéquat. Deux jours après ce mémo, Enrich apprenait, dimanche dernier, qu’il était mis en congé administratif.
Dans plusieurs pays, dès la fin-janvier, des cliniques ou des organismes distribuant des médicaments ou des suppléments nutritifs, offrant des traitements pour des personnes séropositives ou des suivis médicaux pour les femmes enceintes, avaient renvoyé leur personnel local à la maison, faute de fonds. Et l’ensemble des Américains payés par l’USAID à l’étranger ont été avisés de rentrer.
Interrogé par la BBC le 8 février, l’expert britannique en médecine sociale et tropicale Tom Wingfield, expliquait que « les gens mesurent mal l’étendue de USAID. Cela concerne la malnutrition, l’hygiène, les toilettes, l’accès à de l’eau potable, qui ont tous un impact massif sur la tuberculose et les maladies diarrhéiques. » Et même les électeurs qui ne mesurent que les retombées économiques de ces investissements, devront comprendre qu’une augmentation des maladies infectieuses dans un pays signifie que des cas apparaîtront tôt ou tard en plus grand nombre dans les hôpitaux américains.
« Les maladies ne respectent pas les frontières », rappelait Wingfield. Quant à des programmes pour la santé maternelle et infantile ou pour la nutrition, rappelle Nicholas Enrich dans son dernier mémo, ils peuvent « stabiliser l’économie et le climat politique » dans ces pays.