Ce n’est pas seulement aux États-Unis que les chercheurs sont sous le choc du gel de financement dans la recherche et des coupures de postes des dernières semaines. Au Québec aussi, leurs collègues réalisent que les coupures américaines mettront à mal de nombreux secteurs scientifiques, l’environnement et la santé en tête.
C’est que les États-Unis restent le plus important partenaire de la science canadienne et québécoise. « La recherche ne devrait pas avoir de frontières et la politique ne devrait pas nous empêcher de collaborer entre chercheurs. Nos relations sont déjà compliquées avec la Chine, avec la Russie et aujourd’hui elles le sont avec les États-Unis», résume le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion.
Rejoint à Washington lors d’un évènement — planifié depuis longtemps — de l’Académie nationale des sciences américaines – pour discuter des liens entre gouvernement, économie et science — il témoigne du grand choc qui frappe le milieu de la recherche ici et là-bas: « Le niveau d’anxiété est énorme. Nos collègues américains sont les premiers touchés par des coupures monétaires particulièrement dans le domaine de la santé, c’est pourquoi nous avons des craintes pour les impacts que ça aura sur notre recherche collaborative. »
Tout de suite après son arrivée au pouvoir, Donald Trump a partagé, via son Bureau de la gestion et du budget de la Maison-Blanche (OMB), un mémorandum gelant les programmes financiers qui seraient jugés en contradiction avec la vision de son gouvernement: des mots-clés tels que « genre », « diversité » et bien d’autres, ont entraîné la suspension pour « révision » de milliers de pages web, de subventions déjà attribuées et de recherches en cours de rédaction.
Par une série de décrets qualifiés d’historiques, le président américain a également amorcé un recul conservateur sur la scène internationale, incluant un retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Accord de Paris sur la lutte aux changements climatiques.
Tandis qu’à l’interne, des coupes majeures dans la fonction publique et dans les programmes gouvernementaux sont amorcées, incluant aux National Institutes of Health (NIH), l’un des plus gros organismes subventionnaires en santé au monde.
Il y a trois cas de figure quant à la façon dont cela affectera la recherche scientifique au Québec, pour le vice-recteur à la recherche et aux études supérieures de l’Université de Sherbrooke, Jean-Pierre Perreault : « tout d’abord, l’équipe qui reçoit des fonds des NIH et d’autres instituts américains coupés, pourrait prendre la décision de cesser sa recherche ».
« La deuxième situation, ce sont les ententes de recherche des laboratoires canadiens avec des organismes américains, qui pourraient être mises à mal», poursuit-il.
Et pour finir, l’imposition de tarifs à l’importation (ou surtaxes) pourrait décourager les compagnies américaines de confier leur recherche et développement à des institutions canadiennes. Cela pourrait toucher tous les domaines technologiques.
« Prenez les drones, par exemple. Il pourrait y avoir un esprit protectionniste et d’économie de coûts qui pourrait nuire aux compagnies innovantes d’ici. »
Et bien sûr, la santé. Elle sera — et est déjà – touchée avec le recul des actions autour de la gestion des pandémies et le retrait des chercheurs américains de grandes études internationales de santé publique, et les coupures à l’aide internationale.
« Cela va avoir des incidences sur la gestion de certaines maladies. De nombreuses données qui sont disparues des sites web, et malgré des stratégies pour mitiger les impacts – comme la copie par des collègues de données de recherche. Que va-t-il se passer si on manque de données pendant six mois, un an ou plus? », demande M. Quirion.
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Coupures et dérives idéologiques
Pour l’instant toutefois, c’est surtout l’incertitude. « Nous sommes face à une situation complètement imprévisible, les coupures pourraient être renversées légalement, mais Trump dit qu’il ne fera pas », s’alarme le titulaire de la Chaire Unesco sur la science ouverte, Vincent Larivière.
Il souligne aussi que cela nous rappelle notre dépendance au géant américain. Dans les années 1980, il y avait 7% des recherches canadiennes qui étaient publiées avec nos voisins, aujourd’hui, c’est 28%. C’est encore plus fort dans le domaine médical, avec 37%.
Cela donne une bonne idée de notre dépendance « et des répercussions à venir », poursuit-il.
En santé, les coupures annoncées pourraient représenter autour de 4 à 5 milliards de dollars américains. C’est l’équivalent de « l’ensemble des recherches canadiennes ».
Et au-delà du Canada, ça aura un impact sur la recherche mondiale. « Une immense proportion de la science va être ainsi coupée. C’est une forme de censure du contenu et une attaque à la liberté académique », poursuit celui qui est aussi professeur titulaire à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal.
On observe d’ores et déjà des thématiques ciblées: outre des mots clés comme « genre », « transgenre » ou « non binaire », on trouve aussi dans les listes qui ont circulé depuis un mois « enceinte », « invalidité », et même « stéréotypes », « socioéconomique », « trauma » ou « victime ». Il y a aussi « femme », « femelle », mais pas « homme » ou « mâle ».
Il faut prévoir d’inévitables dérives idéologiques. Vincent Larivière s’inquiète d’un de ses propres projets, qui s’inscrit dans la recherche en EDI (équité, diversité, inclusion).
« Notre projet, en collaboration avec une équipe américaine, a été sélectionné, mais même si on nous accorde la subvention, si on suit la politique mise en place, il va être coupé. Nos collègues américains nous ont demandé de changer le libellé de la recherche, mais ce n’est pas possible: il n’y a pas moyen de reformuler ». C’est en plus du fait que ce financement a aussi pour objectif de former des étudiants issus des minorités – près d’une dizaine d’étudiants internationaux.
D’ailleurs, beaucoup des étudiants internationaux vont peut-être y penser à deux fois avant d’aller aux États-Unis. « Beaucoup vont faire un doctorat ou un postdoc aux États-Unis: ça a été ma trajectoire, cette circulation habituelle des cerveaux. »
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Environnement et climat sont sur la sellette
Et l’environnement? Au Québec, rappelle Rémi Quirion, « nos équipes collaborent sur de gros projets collaboratifs, sur l’Arctique par exemple » ou sur les Grands Lacs. Si les États-Unis ne sont plus intéressés à les financer, que va-t-il advenir de ces projets?
Premier coup de semonce, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a d’ores et déjà été visée. La moitié de ses employés pourrait être renvoyée et là aussi, d’innombrables pages de données climatiques sont disparues.
« Ces suppressions dans les données, cela compromet la couverture environnementale canadienne. Par exemple, une collecte de la couverture de neige se fait par les agences américaines. Tant chez Environnement Canada qu’à l’Organisation météorologique mondiale, nous ne sommes pas capables de nous passer des Américains », explique Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM.
« La NOAA joue un rôle clé, voire névralgique, dans la veille météorologique mondiale et contribue de façon majeure aux activités de suivi et de surveillance à l’échelle internationale. Et c’est sans compter l’expertise de milliers de ses scientifiques», rappelle le chercheur.
Et le National Center for Environmental Information, une agence de la NOAA, produit entre autres des outils climatologiques utilisés pour établir avec les agences météorologiques européennes et japonaises l’état des lieux du climat et ses variations à travers le monde.
Un éventuel désengagement ou démantèlement de la NOAA, cela veut donc dire, entre autres, la perte d’une expertise essentielle à l’échelle nord-américaine et internationale pour la météo et le climat, l’érosion de notre capacité collective à faire face aux changements climatiques et aux risques associés, le non-respect des engagements pris par les États-Unis quant à leur contribution à la veille météorologique mondiale et à l’accès aux données probantes en accès libre.
C’est sans compter « l’atteinte à la sécurité des biens et des personnes », si on se rappelle de l’importance des prévisions météorologiques pour voir venir les risques de feux de forêt, canicules, sécheresses, tornades, inondations, etc.
Incidemment, la surveillance des incendies du côté canadien bénéficie aussi d’une entente bilatérale entre le National Interagency Coordination Center des États-Unis et le Centre interservices des feux de forêt du Canada; d’autres organisations américaines sont susceptibles d’aider le Canada – avec par exemple le système FireGuard du département américain de la Défense. Pour l’instant, on ignore si ces services seront épargnés.
Par contre, on sait déjà qu’il y aura des coupures à l’Agence de protection de l’environnement, au Service américain des forêts et d’autres – la liste est longue. Jusqu’à la NASA (près de 5% des employés auraient déjà répondu au programme de retraite volontaire), elle dont les données sont essentielles pour mieux comprendre l’hydrologie et les événements météorologiques extrêmes.
« Ce démantèlement signifiera un gigantesque retour en arrière, qui montre à quel point, l’incompétence, le déni, l’inaction, et la bêtise qui se conjuguent avec la désinformation, peuvent avoir des conséquences désastreuses et concrètes sur notre capacité à vivre en sécurité, et à anticiper les bouleversements du climat dont les Américains sont en grande partie responsables », ajoute le Pr Gachon.
Le deuxième pays émetteur de gaz à effet de serre après la Chine devrait en effet faire partie de la solution. « Compte tenu de l’étroite collaboration avec la NOAA et ses scientifiques, je n’ose même pas imaginer quelles pourraient être les conséquences pour nous », s’alarme l’expert.
Pour la suite des choses
Au-delà des budgets coupés, les experts s’inquiètent aussi du vent d’isolationnisme. « Cela touche toute la vision de la science en ne soutenant plus les rencontres scientifiques, les voyages et les rencontres », relève Jean-Pierre Perreault. Tout en favorisant l’antiscience: on le voit avec des nominations comme celle de Robert F. Kennedy Jr, militant anti-vaccination désormais à la tête du ministère de la Santé.
La collaboration scientifique avec le voisin américain reste pourtant prioritaire pour de nombreux chercheurs et à ce titre, le Québec aurait peut-être un avantage face aux autres provinces canadiennes, parce qu’il dispose de ses fonds de recherche, indépendants du fédéral. « Nous avons beaucoup investi dans la science en français, cela nous apporte un peu de protection et donc, il nous faut continuer ça », relève le scientifique en chef Rémi Quirion.
Il y a aussi des relations de longue date tissées avec l’Europe et l’Afrique francophone. Cela pourrait peut-être pousser à réorienter des pans de recherche vers d’autres partenaires, mais rien n’est sûr de ce côté.
Rémi Quirion se veut tout de même rassurant: « Nous l’avons vu avec la pandémie, même si la situation est compliquée avec les États-Unis, nous restons des partenaires, davantage que des collaborateurs. Un peu comme un couple qui connaitrait une période de froid. Il nous faut penser à long terme et se serrer les coudes, on devrait réussir à passer au travers. »