Plus de 40 rencontres d’experts annulées, mettant sur la glace des projets de recherche sur des sujets aussi divers que le cancer du pancréas, la toxicomanie et la mortalité infantile. Des universités qui, comme le Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont mis sur pause les embauches ou les inscriptions des étudiants à la maîtrise ou au doctorat. Ce sont deux des conséquences immédiatement visibles du gel des subventions dans la recherche aux États-Unis depuis un mois.
Au début, les témoignages tournaient plutôt autour de « l’incertitude », voire du « chaos » que cela entraînait, personne ne semblant savoir si l’interruption était temporaire ou permanente, quels programmes disparaîtraient pour de bon, jusqu’à quel point des mots comme « diversité » ou « carbone » seraient-ils désormais « interdits ». Mais de plus en plus de scientifiques osent à présent parler tout haut des conséquences directes sur leur travail, ou sur l’écosystème qui les entoure.
Le National Institutes of Health (NIH) par exemple, est l’un des plus gros organismes subventionnaires de la recherche en santé au monde. Dans son cas, ce n’est pas seulement l’analyse des demandes de subventions qui est en suspens depuis un mois, c’est le paiement de subventions qui avaient été approuvées avant le 20 janvier. Le résultat: une crise dans la recherche biomédicale, parce que plusieurs laboratoires et centres de recherche paient leurs employés avec ces subventions. « Des délais dans le financement, résumait le New York Times le 21 février, peuvent rapidement obliger les scientifiques à démanteler l’infrastructure et le personnel » sans lesquels il n’y a pas de tests, d’analyses ou d’expériences.
C’est même davantage que du financement gelé, c’est souvent un processus administratif qui a été interrompu. Le Times donne l’exemple, au NIH, de « panels de révision de haut niveau » (des rencontres d’experts pour décider de l’attribution des subventions) dont les réunions doivent être annoncées 15 jours à l’avance dans un registre fédéral. Rien n’y a été ajouté depuis le 21 janvier. « La nouvelle administration », commente le microbiologiste Vaughn Cooper, de l’Université de Pittsburgh, « avec de la bureaucratie de coulisses, a mis à l’arrêt le processus par lequel le NIH finance la recherche biomédicale de la nation. »
Et les conséquences ne s’arrêtent pas aux frontières des États-Unis, rappelle en éditorial la revue britannique Nature, le 25 février: « un assaut contre la science, où que ce soit, est un assaut contre la science partout ».
À travers le monde, des millions de récipiendaires de subventions des programmes d’aide américaine au développement, ont été abandonnés. Il est difficile de mettre des mots sur l’étendue des dommages qui sont faits à l’entreprise de recherche des États-Unis, dont la valeur pour la nation elle-même et pour le reste du monde, est incalculable.
-Extrait de l’éditorial de Nature
Tout cela s’inscrit dans le contexte plus large des coupes en cours dans la fonction publique américaine: bien que certaines de ces coupes soient contestées devant les tribunaux, ces contestations ne semblent pas avoir eu d’effet jusqu’ici. Un des décrets signés par le nouveau président a par exemple conduit le NIH à mettre à l’arrêt le paiement de la portion des frais qui n’est pas directement liée à la recherche (du loyer jusqu’aux salaires du personnel chargé de nourrir les animaux de laboratoire et des infirmières chargées d’effectuer un suivi des patients). Or, bien qu’un juge ait suspendu temporairement cet ordre le 21 février — une somme de 4 milliards$ a été évoquée lors de l’audience — les paiements n’avaient toujours pas repris au milieu de la semaine suivante.
Quels impacts à long terme sur la recherche et l’innovation?
Jusqu’à quel point cet écosystème de la recherche est-il fragile? La journaliste Karen Hao, spécialisée en intelligence artificielle, écrit dans le magazine du MIT, Technology Review, que si les coupes du dernier mois se poursuivent, « les Américains pourraient en subir les impacts pendant des décennies ». La raison étant que cet écosystème ne sert pas qu’aux étudiants et aux chercheurs : des pans entiers de l’industrie se sont construits depuis un demi-siècle grâce à ces investissements massifs du gouvernement américain dans la recherche et l’innovation. « Maintenir les États-Unis comme chef de file de la science et de la technologie n’a jamais été une question partisane. Personne n’avait prédit cet assaut généralisé contre les fondations de la prospérité américaine. »
Une poignée de secteurs, comme l’IA et les cryptomonnaies, n’ont sans doute rien à craindre pour leur développement immédiat, mais pas tant à cause des subventions qu’à cause d’une nouvelle administration encline à reléguer aux oubliettes toute forme de réglementation qui pourrait les ralentir. Sauf que le reste de l’industrie des technologies, lui, sera handicapé à long terme par le ralentissement de la recherche fondamentale, puisque c’est chez elle que sont nées toutes les grandes percées des dernières décennies. « Vous pouvez construire les choses que vous connaissez déjà, mais vous n’apprenez rien de nouveau, résume Technology Review. Vingt ans plus tard, vous êtes en retard, parce que vous avez cessé de faire de nouvelles découvertes. »
Il se peut toutefois qu’il ne faille pas attendre 20 ans pour sentir un impact direct: on pourrait voir assez vite des étudiants étrangers qui, en temps normal, auraient rêvé d’une université américaine, lui préférer des universités en Europe, au Canada ou en Chine. En fait, des observateurs prévenaient dès le premier mandat de Trump que c’était déjà commencé: certaines universités se plaignaient du fait que le discours anti-migrants nuisait à leurs efforts de recrutement d’étudiants étrangers.