Libérer la paresse, collection de témoignages publiée aux Éditions du remue-ménage sous la direction de Natalie-Ann Roy et Geneviève Morand, suscite deux envies qui pourraient paraître contradictoires.
La première est une volonté de tout brûler, de déconstruire urgemment ce monde capitaliste absurde où les travailleurs sont autant de nourriture pour Moloch – la preuve que, même plus de 100 ans après sa sortie, Metropolis est toujours aussi pertinent.
Déconstruire, oui, car les différents témoignages, à commencer par ceux de Mmes Roy et Morand, donnent envie de hurler. Hurler à s’en rendre aphone devant ces preuves d’une violence à la fois inouïe et ordinaire contre les gens ordinaires, contre ceux et celles qui cherchent simplement à vivre de façon plus agréable, qui n’ont pas l’intention de se tuer au travail – parfois littéralement.
Devant des cas de violence ordinaire, d’organisations qui font passer le bien-être des actionnaires, ou simplement la continuité du « système » avant le bon sens et la décence, on se dit que la société a encore bien du progrès à faire. « On se reposera quand on sera morts », comme le dit si bien l’expression.
Oh, il y a bien eu l’émergence d’un mouvement pour le bien-être et la santé mentale au travail… À moins que cela ne coûte trop cher et ne nécessite des ressources supplémentaires. Oui, il existe de bons employeurs, dans ce domaine, mais, bien souvent, les travailleurs sont invités à « se trouver du temps pour soi ». Bref, une autre tâche à ajouter à cette éternelle liste de choses à faire.
L’autre envie suscitée par le recueil est un désir puissant de lancer le recueil au bout de ses bras. Non pas que la chose soit mal écrite, bien au contraire, mais le sujet tombe un peu trop pile poil dans le mille avec ce journaliste, qui porte à bout de bras, depuis près de 20 ans, un projet journalistique qui gruge une bonne part de son temps, sans revenus conséquents en retour.
Ce même journaliste qui, il y a plus d’un an, maintenant, a frappé le mur dans des circonstances qui ne sont pas pertinentes, ici, et qui a été forcé de s’interroger sur son identité, au-delà du journalisme.
Et donc, lire les témoignages ulcérants de Mmes Roy et Morand, ainsi que des autres contributeurs à cet ouvrage, représente l’équivalent littéraire de plonger une lame acérée bien au fond d’une plaie qui se referme à peine.
La révolution, mais seulement dans ses temps libres
De façon terriblement ironique, cet appel à « libérer la paresse », à accepter qu’il soit nécessaire de relaxer, de ralentir, de profiter de la vie pour recharger ses batteries, de mieux structurer nos sociétés pour éviter le burnout, éviter le crash, semble presque plus insidieux que les autres inégalités dénoncées par les deux autrices dans leurs précédents ouvrages.
Ainsi, oui, il est possible – et souhaitable! – de vivre dans un monde plus égalitaire et équitable, un monde plus progressiste, un monde plus juste, moins dangereux pour les femmes… Mais travailler moins? Consommer moins? Simplement prendre du temps pour ne rien faire? Avez-vous pensé à l’économie, pardi! Il faut créer plus de richesse, martèle un certain premier ministre. Et surtout ne pas se poser de question. Ou contester les structures en place. Ça pourrait donner des idées aux autres…
Efficace, mais aussi difficile à lire, car trop « réaliste »… Puissant, mais aussi troublant… Libérer la paresse est un appel à la révolution. Et comme toutes les révolutions, celle-ci impliquera de détruire les vieilles structures exploitatives. En attendant, il s’agit d’une excellente façon de se radicaliser.
Libérer la paresse, publié aux Éditions du remue-ménage, collectif sous la direction de Natalie-Ann Roy et Geneviève Morand, 277 pages