Il y a quelque chose de pourri, dans le royaume du Danemark, mais aussi à Los Santos, la ville représentée dans le jeu vidéo Grand Theft Auto V. L’impérissable oeuvre de Shakespeare vient ainsi télescoper la création numérique de Rockstar dans le fort surprenant Grand Theft Hamlet.
Lancé récemment sur le service Mubi, après un passage en salles au Royaume-Uni, le film est un documentaire britannique racontant une idée à tout le moins improbable, voire incroyable: recréer la pièce de théâtre Hamlet à l’intérieur des limites de la version en ligne de GTA V. Avec acteurs, mise en scène et décors originaux, s’il vous plaît.
L’idée peut paraître folle, mais il s’agit exactement du genre de proposition champ gauche née sous le joug du confinement imposé par la pandémie de COVID-19. Deux amis, Sam Crane et Mark Oosterveen, se donnent ainsi comme objectif de monter Hamlet dans ce titre particulièrement populaire, mais où les tirs de bazookas et les poursuites policières sont bien plus fréquentes que les monologues sur le sens de la vie.
Avec l’aide de Pinny Grylls, cinéaste de son état, voilà que notre groupe va documenter non seulement sa proposition théâtrale, mais aussi les longues et laborieuses démarches visant à monter une telle oeuvre.
On pourrait penser, de prime abord, que la proposition farfelue fait sourire, mais sans plus, à l’instar de bien d’autres idées folles qui ne se concrétiseront jamais. D’ailleurs, une bonne partie du documentaire est consacrée aux efforts, bien souvent peu ou pas du tout couronnés de succès, pour trouver des acteurs décents, plutôt que des badauds cherchant d’abord à tirer sur tout ce qui bouge.
Lentement, toutefois, une autre réalité apparaît en filigrane: celle de gens cherchant par tous les moyens à non seulement vivre de leur art, mais aussi à pratiquer cet art, à porter bien haut le discours de ce héros torturé, prince du Danemark, et dont l’oncle a assassiné le père.
Bien sûr, nous ne sommes plus au temps de Shakespeare, et encore moins à l’époque où se déroule Hamlet, mais ce questionnement sur la nécessité de continuer à vivre, malgré les horreurs et la violence du monde, n’est-il pas intemporel? Et alors que la planète était aux prises avec la COVID-19, n’y avait-il pas une justification à cette volonté de remettre notre existence en doute? Être ou ne pas être alors que la planète est malade, alors que les riches s’enrichissent, alors que les morts s’accumulent, alors que l’art a temporairement perdu sa place dans les salles de spectacle, mesures sanitaires obligent?
Oui, l’expression artistique de Grand Theft Hamlet est limitée par les capacités de l’engin graphique du jeu dans lequel se déroule le film. Mais il s’agit aussi, en un sens, d’un nouvel univers de possibilités. A-t-on déjà imaginé Hamlet réciter son célèbre monologue sur un dirigeable survolant une métropole? Ou pensé qu’une répétition pourrait être interrompue par un type torse nu, portant un chapeau de cowboy, et qui est poursuivi par des policiers lourdement armés?
Documentaire franchement intéressant, Grand Theft Hamlet prouve, hors de tout doute, l’existence de deux grandes vérités: tout d’abord, l’art, et plus particulièrement le théâtre, trouvera toujours une façon de resurgir, de percer à travers les couches ternes de la vie ordinaire. Ensuite, pas besoin de centaines de millions de dollars pour réaliser un film poignant et émouvant. À voir.