Ah, qu’il fait bon parler français, dans le « plus meilleur » pays du monde. Enfin, pas vraiment: sur les planches de la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, les acteurs d’Oh! Canada s’aventurent sur le terrain miné de l’utilisation et de la protection de la langue de Molière d’un océan à l’autre.
Vaste programme, il va sans dire, pour cette oeuvre plongeant allègrement dans le sous-genre du théâtre documentaire. Très vaste programme, même, pour les cinq interprètes, Ziad Ek, Moriana Kachmarsky, Danielle Le Saux-Farmer et Noémie F. Savoie, ces deux dernières signant également le texte de l’oeuvre, alors que Mme Le Saux-Farmer s’occupe par ailleurs de la mise en scène.
Très vaste programme, disions-nous, même si cette première partie concerne « seulement » l’Est canadien, c’est-à-dire les communautés francophones des provinces de l’Atlantique, du Québec et de l’Ontario. Trop vaste, peut-être? Car parler de francophonie, c’est aussi parler d’éducation, d’économie, de politique fédérale et provinciale, d’immigration, d’histoire… Et chacune des communautés examinées est justement unique, avec sa propre perspective et ses propres enjeux.
Devant cette montagne que nos comédiens cherchent à gravir tant bien que mal, l’oeuvre part parfois un peu dans tous les sens. À un moment, il y aura d’excellents et fascinants échanges sur ce sentiment, partagé ou non, voulant qu’il est du devoir de chaque francophone de protéger la langue de Molière.
Ou encore sur cette question de l’identité personnelle. Peut-on, après tout, être un Noir italien dont les parents viennent d’Afrique, mais aussi être un Acadien francophone, accent compris? Y a-t-il des « niveaux » de qualité des accents francophones, justement? Qu’est-ce que cela veut dire, être francophone? S’agit-il de parler le français à la maison? Au travail? Dans l’espace public? Sommes-nous vraiment menacés par le Bonjour-Hi?
Autant de sujets qui mériteraient pratiquement une pièce de théâtre chacun. Et encore, il n’a pas vraiment été question de l’ethnocentrisme référendaire, du sort des francophones hors Québec advenant un référendum gagnant, de la diffusion de la culture francophone dans la sphère numérique, etc.
Coast to coast (to coast)
Devant cette avalanche, Oh! Canada tente un peu maladroitement de faire feu de tout bois. On ne doute aucunement de la passion des interprètes pour leur sujet. Impossible, d’ailleurs, de ne pas s’émouvoir devant la discrimination dont a été victime cette comédienne franco-ontarienne qui a, toute sa vie, senti une pression pour « nettoyer » son accent, histoire de coller davantage au français « québécois », voire « international ».
Mais aux côtés de ces témoignages touchant, qui semblent vraiment venir des tripes, plutôt que d’un texte uniquement théâtral, on trouve également de longs passages didactiques, où l’on nous abreuve de statistiques. L’idée est claire: fournir des informations précises sur l’état de la situation de la francophonie. Ceci étant dit, on aura beau assister à du théâtre documentaire, le message mis de l’avant par les comédiens « collera » mieux si celui-ci est porté par les émotions, et non pas par des tonnes de chiffres.
Tout cela nous amène à nous poser une question importante: que veut-on nous dire? Quel message cherche-t-on à nous transmettre, justement? En s’éparpillant un peu trop, Oh! Canada perd de son allant, et va même jusqu’à risquer l’essoufflement.
Cela ne veut pas dire que le sujet n’est pas d’une importance capitale. La culture d’un peuple, c’est d’abord et avant tout sa langue. Et il ne fait aucun doute qu’à mesure que nos comédiens se dirigeront vers l’Ouest, leur perspective évoluera et viendra s’enrichir de nouveaux témoignages.
Proposition certainement ambitieuse, si ce n’est parfois un peu éparpillée, Oh! Canada propose un regard sans complaisance sur l’existence, d’un océan à l’autre, de cette langue autant omniprésente que menacée. À découvrir.
Oh! Canada – Chapitre 1: l’est du pays, un texte de Danielle Le Saux-Farmer et Noémie F. Savoie, dans une mise en scène de Danielle Le Saux-Farmer
Avec Ziad Ek, Noémie F. Savoie, Moriana Kachmarsky, Danielle Le Saux-Farmer et Carlo Weka
À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 1er mars