Au cours de sa comparution devant le Sénat des États-Unis à la fin janvier, en vue de sa nomination comme secrétaire à la Santé, Robert F. Kennedy Jr (RFK) s’est fait reprocher d’avoir dit beaucoup de choses douteuses ou carrément fausses au fil des années. Le Détecteur de rumeurs s’est demandé si on pouvait faire le tri entre les affirmations qui ne sont ni vraies ni fausses, et les autres.
Au cours de l’une de ces audiences, le 30 janvier, RFK a déclaré qu’il s’excuserait pour ses propos « si la science lui prouvait qu’il a tort ». Or, tout n’est pas affaire de preuve: certains des propos qu’il a tenus au fil des années sont des opinions faisant bel et bien, depuis longtemps, l’objet de débats dans la communauté scientifique. Par exemple, l’impact sur la santé des aliments ultratransformés ou la place des pesticides dans l’agriculture. D’autres relèvent de l’insulte ou de l’outrance, comme l’affirmation à l’effet que le Dr Anthony Fauci, qui a été le conseiller scientifique pour la santé publique de huit présidents américains, aurait fait « un coup d’État historique contre la démocratie occidentale ».
Mais il y a des choses qui se vérifient plus facilement que d’autres.
Sida, téléphones cellulaires et autisme
- Il a déclaré à plusieurs reprises que le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) ne cause pas le sida, mais que celui-ci est plutôt causé par « le mode de vie gay » et l’usage de substances vasodilatatrices ou « poppers ». Quantité d’études ont démontré, depuis les années 1990, le lien entre le VIH et le sida.
- Il a attribué les tueries dans les écoles aux prescriptions de Prozac, dans une entrevue avec Elon Musk en 2023. Il s’agit d’une légende urbaine qui a été souvent déboulonnée, par exemple par le média PolitiFact dès 2019.
- Il a déclaré en 2023, sur les ondes de la populaire balado de Joe Rogan, que le wi-fi cause l’autisme, l’asthme, les allergies alimentaires et d’autres maladies chroniques. Quantité d’études ont tenté d’établir de telles corrélations, sans rien trouver.
- Il a affirmé lors de la même émission que le téléphone cellulaire cause des cancers et que ces cancers « sont toujours du côté de l’oreille qui utilise le téléphone »; l’affirmation de l’oreille est née d’une anecdote au début des années 1990 et a maintes fois été déboulonnée.
- Il a admis, lors de l’audience du Sénat du 29 janvier, avoir « probablement » déjà dit que la maladie de Lyme était une « arme biologique fabriquée par des militaires ». En réalité, les analyses génétiques révèlent que la bactérie responsable de cette maladie circule dans les forêts nord-américaines depuis au moins 60 000 ans.
- Son affirmation la plus connue est celle selon laquelle les vaccins causent l’autisme ou même que « l’autisme provient des vaccins ». L’origine de cette croyance, assez répandue dans le public, est une étude britannique de 1998 qui a depuis été rétractée pour cause de fraude. Lors de son audience du 30 janvier, RFK a cité une nouvelle étude à l’appui de ses dires sur l’autisme. Or, l’un des deux signataires de l’étude, rapporte le média FactCheck.org, est affilié à un « institut » sans site web ni adresse. L’étude est financée par un groupe antivaccins, et est parue dans une revue dirigée par un écologiste connu pour ses positions antivaccins. Au final, depuis les années 1990, des dizaines d’études effectuées dans plusieurs pays pour tenter de trouver une corrélation entre vaccination et autisme, ont échoué.
Autisme et Holocauste
Si plusieurs de ses affirmations relèvent de l’outrance ou de l’insulte et peuvent donc difficilement être mises en parallèle avec des études scientifiques, il reste que plusieurs de ses affirmations les plus surprenantes sur les vaccins évoquent l’Holocauste —le massacre des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale— dans des termes qui sont révélateurs de sa perception de la vaccination.
Une enquête de l’Associated Press en décembre 2021 avait conclu que le « spectre des Nazis et de l’Holocauste » était un thème récurrent dans les propos de RFK.
- Il a ainsi comparé la vaccination à l’Holocauste dès 2013. « Pour moi, l’autisme, c’est comme les camps de la mort nazis. » Faisant référence dans cette conférence au pédiatre spécialisé dans les maladies infectieuses Paul Offit, qui s’est donné pour mission, depuis les années 2000, de combattre les arguments pseudoscientifiques des groupes antivaccins, Kennedy avait ajouté: « j’aimerais beaucoup voir Paul Offit et toutes ces personnes derrière les barreaux ».
- Il a fait une autre comparaison avec l’Holocauste en janvier 2015, dans le cadre d’un débat en Californie sur l’élimination du droit des parents à refuser la vaccination pour des raisons religieuses. Il avait réitéré cette comparaison en avril. Il s’était excusé de cette dernière comparaison la semaine suivante.
- En 2022, il a comparé à l’Holocauste les pressions pour vacciner, cette fois contre la COVID, dans le cadre d’une manifestation antivaccins à Washington. « Même dans l’Allemagne d’Hitler, vous pouviez vous cacher dans un grenier, comme l’avait fait Anne Frank » —une adolescente morte dans un camp de concentration après s’être cachée dans une maison d’Amsterdam pendant deux ans. Le Mémorial de l’Holocauste, à Jérusalem, avait protesté contre cette comparaison.
- Enfin, il a prétendu, lors d’un dîner privé à New York en 2023, que la COVID était une arme biologique qui épargnait les juifs ashkénazes et les Chinois; une affirmation facile à déboulonner par la statistique. Il a plus tard prétendu s’appuyer sur une étude de 2020, mais celle-ci ne conclut pas une telle chose. Plusieurs groupes, dont le Comité juif américain, ont condamné cette affirmation.
De la grippe espagnole à la COVID
- Au début de la COVID, en 2020, il avait partagé sur son compte Instagram l’idée selon laquelle les vaccins seraient liés à des puces électroniques et à Bill Gates. « Si vous refusez un vaccin, nous allumons la puce et vous mourez de faim. »
- Pendant sa campagne présidentielle, en 2023, il a cité une étude comme preuve de l’efficacité de l’ivermectine contre le coronavirus. En réalité, l’étude avait été rétractée depuis 2022, tout comme plusieurs autres.
- Il a aussi dit en 2021 que les vaccins contre la COVID étaient « le vaccin le plus mortel jamais conçu ». Cette affirmation s’appuyait sur VAERS, une base de données américaine sur les effets secondaires des vaccins. Le problème est que n’importe qui peut inscrire n’importe quoi dans VAERS, à charge ensuite des médecins de vérifier au cas par cas. Le site lui-même, créé en 1990, prévient qu’il ne doit pas être utilisé pour conclure quoi que ce soit sur les effets secondaires. En 2024, une étude avait conclu que, dans les États républicains, on observait une proportion plus élevée de gens qui inscrivaient un effet secondaire dans cette base de données.
- Il a déclaré que le vaccin contre la polio cause le cancer à cause d’un virus. Le virus en question n’est plus utilisé depuis 1963, et aucun lien avec le cancer chez les humains n’a jamais été démontré.
- Il a déclaré que l’épidémie de grippe espagnole, en 1918, avait été créée par des expériences sur les vaccins. Pourtant, les vaccins contre la grippe ne sont apparus qu’un quart de siècle plus tard.
L’épisode des Samoa
Enfin, il existe une tragédie sanitaire à propos de laquelle il n’est pas nécessaire de faire appel à des études scientifiques pour découvrir une fausseté.
Durant son audience du 29 janvier, il a déclaré que son voyage aux Samoa, un archipel du Pacifique, n’avait rien à voir avec les vaccins. C’est faux, comme le résume le site de vérification des faits Snopes. Après les décès de deux enfants en juillet 2018 en raison d’une erreur médicale, le gouvernement local avait temporairement suspendu la campagne de vaccination contre la rougeole, jusqu’en avril 2019. Le groupe antivaccins Children’s Health Defense que préside RFK avait exploité cette opportunité pour inciter les familles à ne pas faire vacciner leurs enfants et à se soigner avec des vitamines. Lorsque RFK s’était rendu là-bas en juin 2019, il avait rencontré les deux plus virulents militants antivaccins de l’archipel, leur donnant une énorme visibilité.
Le taux de vaccination avait entretemps chuté à 40%. Lorsque l’éclosion de rougeole avait commencé en septembre 2019, le gouvernement avait tenté de renverser la tendance. Il faudrait toutefois 83 morts dans les mois suivants avant que le taux de vaccination ne remonte à un niveau sécuritaire.