Découvrir Joyce Wieland, à qui le Musée des beaux-arts de Montréal consacre l’exposition À coeur battant, dès le 8 février prochain, c’est, en quelque sorte, découvrir ou redécouvrir de grandes tendances du 20e siècle. Mais c’est aussi faire la connaissance d’une femme plurielle, une artiste de renom qui faisait feu de tout bois pour mettre de l’avant ses convictions.
Née en pleine Grande Dépression, orpheline avant même l’adolescence, Mme Wieland se découvrira rapidement un talent artistique indiscutable. Tour à tour, elle sera dessinatrice, peintre, sculptrice, voire même spécialiste de la courtepointe! Sans oublier le cinéma, bien entendu.
C’est d’ailleurs une exposition à tout le moins bariolée que sont conviés les visiteurs de l’institution montréalaise. À l’image de l’artiste et de sa vie, tout aussi bariolée, notamment avec un séjour à New York, en compagnie de son mari, pendant la sulfureuse décennie des années 1960.
Exposition bariolée, oui, car cette rétrospective, que l’on affirme être la plus importante, à ce jour, de Mme Wieland, se décline sur autant de supports physiques, styles et messages transmis que l’artiste elle-même aura eu de phases de création.
Clairement, d’ailleurs, l’évolution est flagrante: des croquis évoquant parfois Picasso, on passe rapidement aux premières toiles. Là, l’artiste vogue entre l’art parfois presque naïf et l’abstrait presque le plus pur. À preuve, entre autres, cette toile sur la bataille de Monte Cassino, en Italie, lors de la Deuxième Guerre mondiale. On veut bein croire que le frère de Mme Wieland y a participé, mais sans le texte descriptif, impossible d’y comprendre quoi que ce soit.
Cela n’enlève, bien entendu, rien aux qualités purement artistiques des oeuvres de cette créatrice hors pair, mais on saisira rapidement tout le foisonnement artistique couvant dans cette femme, toute la vigueur, la fougue avec laquelle elle semble être appelée à donner vie à ses pensées, ses visions, ses sentiments, ses valeurs.

Antiguerre, féministe, anti-hégémonie américaine, favorable à la protection de la planète; les causes de Mme Wieland sont nombreuses, à l’image d’une époque particulièrement riche en crises, oui, mais aussi en opportunités.
Et à travers toutes ces passions, on trouve aussi cet amour pour le Canada, alors un pays venant tout juste d’adopter l’unifolié, par exemple, ou encore une nation jetant les bases de son identité nationale, notamment avec Pierre Trudeau à la tête du gouvernement.
Cinq décennies plus tard, mais surtout en tant que Québécois, il est quelque peu ironique de se retrouver devant de telles déclarations d’amour au père de l’actuel premier ministre – y compris une courtepointe « La raison avant la passion », qui reprend une déclaration du défunt politicien, mais il est clair que devant des États-Unis engoncés dans les transformations sociétales et englués au Vietnam, Mme Wieland a choisi son camp.
Que retenir, donc, de cette exposition où l’on combine arts, styles, matières, valeurs personnelles et engagements sociétaux et politiques? Tout d’abord, nous sommes devant une femme à l’imagination et au talent artistique foisonnants, une artiste dans le plus pur sens du terme, qui n’a pas peur d’ébranler les colonnes du temple pour faire passer son message.
Ensuite, qu’on peut aisément se laisser plonger dans ce monde, ou plutôt dans ces mondes, créés par une artiste partie trop tôt, à 68 ans.
Originale, bigarrée, étonnante, l’exposition Joyce Wieland: À coeur battant est la preuve, encore une fois, que l’art peut se décliner sous toutes sortes de formes. Et que, oui, une courtepointe ou un collage de morceaux de plastique peuvent être tout autant de « beaux » arts.