Partager sans cliquer: une mauvaise habitude qui contribue à ce que beaucoup de fausses nouvelles deviennent virales. Dans une analyse de 35 millions de messages partagés sur Facebook et couvrant quatre années, des chercheurs concluent que 75% des messages partagés l’avaient été par des usagers qui ne les avaient pas lus.
Autrement dit, ils ont cliqué sur le bouton « partager » après avoir uniquement vu le titre et l’image, mais ils n’ont jamais cliqué sur le lien pour aller lire l’article ou pour en savoir plus.
Certes, écrivent les chercheurs, tous ces « partages sans clics » ne sont pas des fausses nouvelles. Mais pour essayer d’évaluer à quel point cette pratique favorisait bel et bien la dissémination des fausses informations, l’équipe provenant de quatre universités des États-Unis, a classé les contenus en fonction de leur degré « d’alignement », ou non, avec une idéologie politique.
Il en ressort que les contenus « extrêmes ou alignés politiquement » reçoivent davantage de « partages sans clics » que les contenus « neutres » (divertissement, actualité générale, etc.).
Ce qui n’est pas une surprise, expliquent les auteurs, puisque les partisans se sentent davantage « engagés » dans ce type de contenu que les « usagers politiquement neutres ». Cette forme de partage est également, dans leur échantillon, davantage du côté des conservateurs (77%) que des « libéraux » (le terme désigne ceux qui, aux États-Unis, sont davantage campés à gauche du spectre politique).
Les conservateurs parlent aux conservateurs
Cela se vérifie dans un autre élément de l’étude: sur les 2969 contenus qui avaient été étiquetés « faux » par une « tierce partie » (le programme de vérification des faits dont Facebook vient d’interrompre le financement aux États-Unis), la grande majorité provenaient de sites conservateurs et par conséquent, avaient été beaucoup plus souvent partagés par des usagers conservateurs, et en général, sans qu’ils aient cliqué sur le lien.
Cette mauvaise habitude du « partage sans clic » n’est pas en soi une découverte, c’est plutôt le taux de 75% qui est au-dessus de ce qui avait été estimé dans le passé. Dès 2016, une étude française évaluait que, sur Twitter, 59% des liens partagés l’avaient été par des gens qui ne les avaient pas lus. « Les gens se forment une opinion basée sur un résumé, ou un résumé de résumé », déplorait-on. Et au Québec en 2019, dans un rapport de l’Institut du Nouveau Monde, on apprenait que le tiers des Québécois qui partageaient un lien ou un article sur les réseaux sociaux ne le lisaient « pas toujours » avant de le partager. Cette dernière estimation était sans doute en-dessous de la réalité, puisqu’elle reposait sur des réponses à un sondage, alors que l’étude sur Twitter, tout comme la nouvelle étude sur Facebook, reposent sur une compilation des comportements des utilisateurs en ligne.
L’échantillon de cette dernière étude est composé de 35 millions de messages envoyés de 2017 à 2020. L’étude est parue en novembre dans la revue Nature Human Behaviour.
Une piste de solution suggérée par les auteurs aux compagnies qui gèrent les réseaux sociaux: implanter des avertissements lorsqu’une personne s’apprête à partager un contenu sur lequel elle n’a pas cliqué. Ce serait une façon de « diminuer les liens partageant de la désinformation ».