Aux États-Unis, cela a beau faire au moins 60 ans que les différentes forces policières sont critiquées pour leur utilisation excessive de la force, leur profilage racial et la détérioration des relations entre les autorités et les minorités ethniques, une nouvelle étude révèle que malgré la pression, la formation des nouveaux agents a peu ou pas changé pour s’adapter.
L’étude en question, rapportée par l’American Society of Criminology et effectuée par des chercheurs de l’Université de l’Alabama à Birmingham et de l’University of Central Florida, s’articule autour des programmes de formation des recrues dans des centaines d’académies de police situées un peu partout sur le territoire américain.
Les résultats sont publiés dans Criminology and Public Policy.
« Nous avons constaté l’existence d’une résistance à long terme au changement dans la formation de base. Il y a donc une perpétuation de l’image traditionnelle des « guerriers » combattant le crime, plutôt que celle des « gardiens », notamment dans le cadre de partenariats avec les communautés », explique ainsi John Sloans, professeur de justice criminelle, qui est l’un des coauteurs des travaux.
« Ces résultats, combinés avec de récentes analyses quantitatives de la formation de base des policiers, portent à croire que des décennies d’efforts visant à changer les perspectives et modifier ce qu’apprennent les nouveaux agents ont échoué. »
Les chercheurs précisent par ailleurs que malgré des inquiétudes, à plusieurs niveaux, concernant le contenu de la formation de base des futurs policiers, il s’agit des premiers travaux, depuis les années 1980, à examiner ce contenu dans plusieurs académies, sur une longue période temps, période qui a englobé deux approches spécifiques: des démarches articulées autour des communautés, ainsi que la méthode post-9/11, ou encore celle basée sur des preuves.
Six domaines de formation
En s’appuyant sur des données recueillies auprès de 421 académies de police qui étaient en activité entre 2022 et 2018, les auteurs des travaux ont examiné six aspects de la formation de base:
- Les opérations, soit les techniques de premiers soins, l’utilisation des systèmes informatiques, la conduite de véhicules d’urgence, les enquêtes et les procédures de patrouille;
- Les armes et les tactiques défensives;
- La formation juridique, notamment à propos du droit criminel, juvénile et constitutionnel;
- L’amélioration en continu, avec la gestion du stress, les questions d’éthique et d’intégrité, l’apprentissage d’une langue seconde, ainsi que la santé et la forme physique
- Les actions orientées vers les communautés, comme la médiation et la gestion de conflits, ainsi que la diversité culturelle;
- Les crimes haineux, la lutte au terrorisme, ainsi que la violence conjugale.
Au total, les formations s’étendaient sur la période de temps requise, soit environ 11 semaines à 40 heures chacune. Dans les six domaines, la priorisation de l’enseignement est largement demeurée la même. Enfin, dans tous ces domaines de formation, le temps alloué à chaque sujet variait largement, écrivent les chercheurs.
Ainsi, les opérations policières, le maniement d’armes et les tactiques défensives recevaient généralement la part du lion des heures de formation, tandis que le temps consacré aux questions juridiques a diminué.
De plus, le temps consacré aux dossiers tels que les crimes haineux, ou encore la violence conjugale, qui ont gagné en important au cours des 50 dernières années, n’était que d’une poignée de jours, en moyenne, indique l’étude. Et les questions liées aux relations avec la communauté recevaient la portion congrue des heures d’enseignement.
« Nos conclusions renforcent l’idée que l’aspect « guerrier » de la formation a préséance sur la formation qui aide les policiers à accomplir leur rôle de gardiens », suggère Eugene Paoline, professeur de droit criminel, lui aussi coauteur de l’étude.
« Les recruteurs, les administrateurs, les instructeurs et les dirigeants de services de police doivent agir pour complètement réorienter le recrutement et la formation de base de la police afin de se concentrer sur l’importance d’acquérir des outils s’articulant autour du rôle de gardien. Il faut aussi permettre, mais en nombre bien plus réduit, les instances où les policiers agissent comme des guerriers », soutient Matt Nobles, professeur en droit criminel, un autre coauteur des travaux.
Comment y parvenir? En diminuant progressivement le nombre d’heures consacrées aux disciplines associées à l’idée de « guerrier », comme le maniement des armes et les tactiques défensives, tout en augmentant le temps alloué aux communications interpersonnelles, à la gestion de conflits, à la diversité culturelle et aux partenariats avec les communautés, affirme-t-on.