Les rennes donnent plus d’informations qu’on ne l’imagine par leurs cris. Ainsi, les vocalisations des mâles informeraient les femelles sur leur âge, leur poids et même leur état émotionnel.
C’est ce que soupçonnait le professeur en biologie de l’Université Concordia, Robert Weladji, et que confirme sa nouvelle étude : les mâles les plus âgés et lourds présentent de meilleures chances de se positionner pour attirer les femelles. Si la taille des bois joue très certainement un rôle primordial, certains paramètres acoustiques des vocalisations rendraient le mâle plus intéressant aux oreilles des femelles.
Ce grand mammifère ongulé des régions arctiques et subarctiques, plus connu au Québec sous le nom de caribou, connaît une très courte période de reproduction. Seulement deux semaines en octobre, pendant lesquelles le mâle va donner de la voix pour attirer les femelles et repousser ses concurrents.
Si les combats brutaux des rennes portant d’impressionnants bois aplatis sont bien documentés, les vocalisations de ces mâles présentent encore bien des mystères. C’est pourquoi les chercheurs ont tenté de lier la condition physique à la qualité de la vocalisation.
La taille et la qualité des bois sont évidemment « très importantes dans l’établissement de la hiérarchie, mais pour qu’un mâle s’impose, il lui faut d’autres caractéristiques physiques, comme être un poids lourd », note Robert Weladji. C’est la combinaison des bois, de l’âge et de la qualité de la vocalisation pour attirer les femelles, qui intéressait le chercheur et ses trois collègues, dont deux de Norvège et de Finlande.
Ce qu’en pensent les femelles
Les bramements plus « séducteurs » pour les femelles possèdent une signature vocale faite de fréquences de formants spécifiques, un terme qui désigne des résonances produites par la forme et la taille du conduit vocal de l’animal.
Ces sons donnent des indices sur les attributs physiques ou l’état émotionnel de ceux qui brâment. Ce type de bramements est produit le plus souvent par les futurs reproducteurs les plus massifs et les plus vocaux, après les combats très suivis par les femelles — ce qui suggère qu’il s’agit d’un tout, à la fois le physique et la voix.
Mais puisque l’apparence des bois a aussi son importance, que se passe-t-il si ces vocalisations automnales se produisent lors d’une journée de neige, en l’absence de visibilité? « Nous ignorons encore ce qui plait vraiment aux femelles, ce qui arriverait si elles ne voient pas les mâles. C’est ce qui nous reste à vérifier pour compléter l’étude », précise le Pr Weladji.
Les critères d’attrait des vocalisations seront analysés lors d’une expérience de présonorisation, où des haut-parleurs diffuseront les cris dans divers endroits. Une telle étude visera à vérifier la réception de ces bramements chez les femelles en observant vers lesquels elles se retournent.
Les femelles sont en chaleur deux fois par année, en octobre, à deux semaines d’intervalle. « Ce sont donc deux ovulations, deux chances par année d’avoir une portée. Ce sont elles qui vont décider. Chez les grands mammifères, si les mâles donnent le spectacle avec les combats, ce sont les femelles qui choisissent les reproducteurs.
Le Pr Weladji mentionne qu’il faut s’intéresser à ce que les femelles font par rapport aux comportements des mâles « car souvent, elles décident de changer de harde, une sorte de « magasinage » de leur reproducteur. Et même si le mâle dominant tente de les monter, elles peuvent refuser ses avances en glissant leur corps en avant ou de côté, pour éviter la pénétration. »
Une étude bien menée, mais un faible échantillon
Le biologiste Martin-Hugues St-Laurent, qui n’a pas participé à cette étude, commente que ce type de recherche est rarement tenté. Pour le professeur titulaire en écologie animale au Centre d’étude de la forêt et au Centre d’études nordiques de l’UQAR, « il est tout à fait plausible que ces vocalises diffèrent entre individus et entre les sexes et classes d’âge, voire même selon la condition physique. Sur ce point, c’est intéressant de voir les auteurs tenter le coup », note-t-il.
Une étude récente de chercheurs canadiens et américains sur les vocalisations des femelles écureuils lui paraît tout aussi intéressante.
L’expert remarque toutefois le nombre de mâles peu élevé dans l’étude sur les rennes —seulement dix— avec un gradient d’âge étroit, soit 2,5 et 5,5 ans, alors que l’espérance de vie de ces individus est de 15 à 20 ans. « J’aurais aussi aimé voir le gradient de poids des individus, car l’absence d’effet peut être lié à une faible variabilité de ces mesures. »
Le Pr St-Laurent relève aussi le faible nombre de grognements (« grunts ») enregistrés: seulement 75, pour 10 individus, « c’est peu par individu », selon lui. « La puissance statistique est très faible, et il est probable que seuls les effets TRÈS forts soient mis en évidence ».