Année après année, les équivalences donnent le tournis: cette fois, il n’aura par exemple fallu que six jours, pour les Canadiens les plus riches, pour gagner le salaire annuel moyen de la moitié la plus pauvre de la population du pays. Mais dans un contexte où le nouveau président américain s’acoquine avec des gens obscènement riches, chez Oxfam-Québec, on se dit plus que jamais justifiés dans la lutte contre les inégalités.
Le plus récent rapport sur la richesse de l’organisation, un exercice annuel qui fait toujours prendre conscience de l’absurdité des écarts entre le 1% et le reste de la population, ici comme ailleurs, a ainsi été publié, cette fois, au moment même où Donald Trump redevenait président des États-Unis… et où les multimilliardaires du secteur de la technologie étaient alignés pour assister à cette consécration de la nouvelle oligarchie.
Au bout du fil, Julie McClatchie, analyste politique chez Oxfam-Québec, juge que ce couronnement « est un exemple parfait » de ce qui se retrouve dans le rapport de l’organisation. « C’est un exemple parfait de ce qui ne fonctionne pas, cette idée de l’oligarchie, une situation que dénonce Oxfam depuis plusieurs années. »
« Je pense que voir ce moment-là, entre le Sommet économique mondial, à Davos, et l’assermentation de Trump – les défaillances de notre système –, tout ce que cela fait, c’est nous fournir des munitions pour poursuivre la bataille », a encore indiqué Mme McClatchie.
De l’avis de cette dernière, d’ailleurs, le fait que le mot oligarchie – prononcé par l’ex-président Joe Biden lors de son dernier discours, alors qu’ils dénonçait l’émergence d’une telle structure de pouvoir antidémocratique – fasse l’objet de discussions « représente une énorme victoire » pour le mouvement de lutte contre les inégalités.
Ce mouvement est d’ailleurs alimenté par des statistiques qui semblent absurdes, mais qui sont bel et bien véridiques. Notamment le fait, écrit-on, que « la fortune des dix hommes les plus riches du monde a augmenté en moyenne de près de 100 millions de dollars américains par jour; même s’ils perdaient 99 % de leur fortune du jour au lendemain, ils resteraient toujours milliardaires ».
« La mainmise d’une élite privilégiée sur l’économie mondiale a atteint des sommets autrefois inimaginables. Non seulement les milliardaires s’enrichissent trois fois plus vite qu’il y a un an, mais leur pouvoir a également augmenté », dénonce Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam International, par voie de communiqué.
« Le plus bel exploit de l’oligarchie est d’avoir un président milliardaire, soutenu et financé par l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, à la tête de la première économie mondiale. Nous publions ce rapport pour tirer la sonnette d’alarme et rappeler que les personnes ordinaires du monde entier sont sous le joug d’une minuscule élite qui a amassé des richesses considérables », avertit encore M. Behar.
Le Canada, mauvais élève
Au-delà de la situation à l’échelle mondiale – et aux États-Unis –, Oxfam-Québec tire aussi à boulets rouges contre la société canadienne.
On dénonce ainsi, dans le rapport, le fait que le Canada fait partie de ces nations où les successions ne sont pas taxées. « La majorité des ultrariches héritent de leur fortune ou profitent des monopoles. On ne peut pas simplement continuer à privilégier le privilège », plaide Julie McClatchie, elle aussi par voie de communiqué.
De fait, près des deux tiers de la fortune totale des milliardaires d’ici découle de monopoles économiques, ou d’un héritage, lit-on dans le document.
« Ce que nous venons souligner, c’est que tout cela se produit au détriment d’un financement pour les services essentiels, au détriment des gens ordinaires », mentionne encore Mme McClatchie, en entrevue avec Pieuvre.
L’analyste politique d’Oxfam-Québec s’abstient de se prononcer sur la situation politique canadienne, mais juge que la question des élites se trouve au coeur de nombreux discours, « peu importe l’orientation politique ». « C’est certain que lorsque l’on parle des ultrariches, au Canada, on parle de ces élites-là. Ce que nous souhaitons souligner, à travers tout cela, c’est que contrairement à la croyance populaire, la richesse de ces élites n’est pas méritée, n’est pas gagnée. »
Entre autres suggestions destinées aux élus et autres décideurs, Oxfam recommande « d’instaurer des taxes et des impôts sur les grandes successions », soit plus de cinq millions de dollars, ainsi que sur « l’extrême richesse », soit les patrimoines dont la valeur dépasse les 20 millions.
L’organisation veut aussi une nouvelle hausse du taux d’imposition des gains en capital, ainsi que l’imposition permanente » des profits excédentaires » des grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard de dollars, et plus spécifiquement les compagnies du secteur de l’énergie fossile.
« Le travail n’est pas terminé; il ne faut pas continuer à alimenter le désarroi chez les gens. Il faut savoir que les solutions [contre les inégalités] existent, et il faut simplement un peu de volonté pour les mettre en oeuvre », conclut Mme McClatchie.