Mettant en vedette un groupe de religieuses qui, en pleine prohibition aux États-Unis, fabriquent de l’alcool frelaté dans l’espoir d’amasser assez d’argent pour sauver leur couvent des visées de la banque, L’Élixir de Dieu, une série en deux tomes de Ghief et Christelle Galland, propose une comédie pas très catholique.
Massachussetts, 1929. Les Bénédictines du couvent de Saint-Patrick se retrouvent dans une fâcheuse position lorsque leur propriétaire décède, laissant derrière lui une dette considérable. Se voyant menacées d’expulsion par la banque et craignant de se retrouver à la rue, les bonnes sœurs découvrent alors que leur établissement a été construit sur le site d’une ancienne distillerie datant du XVIIIe siècle. Grâce à l’alambic laissé sur place et avec l’aide de sœur Holly, une jeune femme ayant récemment fui le milieu des bootleggers pour porter le voile, les nonnes décident de fabriquer de l’alcool et de le vendre à Dan Carroll, un chef mafieux, en échange d’un pourcentage des recettes leur permettant de racheter le terrain.
Rapidement, l’eau-de-vie produite par les religieuses s’impose sur le marché de la contrebande en raison de sa qualité exceptionnelle, mais les choses se corsent dans le deuxième tome, alors que sœur Holly, de son vrai nom Maureen O’Hara, est rattrapée par son passé. Fraîchement sorti de prison, Frank Wallace, son ex-conjoint, la capture, et découvrant les activités illicites ayant cours au couvent, fait du chantage auprès des sœurs, les obligeant à lui fournir de l’alcool frelaté gratuitement sous la menace de les dénoncer aux autorités. Coincées entre la pègre, les agents du FBI enquêtant sur les activités du KKK, les versements à la banque et les soupçons du shérif local, il semblerait que seul un miracle puisse les extirper de leurs inextricable situation.
Nous replongeant à l’époque du Volstead Act, dans une Amérique où le Ku Klux Klan en menait large en raison des sympathies des forces de l’ordre à l’égard du groupe raciste, L’Élixir de Dieu raconte une histoire unique, que l’on dévore avec plaisir. Loin de la lutte binaire entre les bons et les méchants ayant souvent cours dans les bandes dessinées, la série s’amuse à explorer les zones morales grises avec son groupe de nonnes qui, pour sauver leur couvent, multiplient les actes illégaux : vol de céréales, contrebande d’alcool, ou séquestration du curé de la paroisse. Les dialogues sont souvent plein d’humour, comme lorsque l’une des nonnes déclare : « Je me demande s’il y a une loi que nous n’avons pas encore violée, cette semaine ».
On a tendance à voir les religieuses de façon monolithique, mais, comme le rappelle avec justesse le scénariste Ghief, « personne n’est né avec le voile ». Toutes ces femmes avaient une vie avant d’entrer dans les ordres, et L’Élixir de Dieu prend bien soin d’étayer les personnalités et le passé de chacune des sœurs. Le portrait du quotidien au couvent sort également des stéréotypes, alors que les Bénédictines lisent les nouvelles lors du repas plutôt que les évangiles et se passionnent pour le baseball, allant jusqu’à miser leurs desserts sur les gagnants des matchs. Même le prêtre de la paroisse s’avère étonnamment volage, et ne cesse de toucher les nonnes de manière inappropriée.
S’inscrivant dans la plus pure tradition de la bande dessinée franco-belge, le coup de crayon de Christelle Galland est souple et dynamique, ce qui produit des planches d’une grande lisibilité. L’artiste excelle dans les expressions faciales, et on devine immédiatement les émotions sur les visages de ses protagonistes. Diners, costumes et voitures d’époque, ses décors nous replongent efficacement dans l’Amérique de la fin des années 1920. L’humour ne vient pas seulement du texte dans L’Élixir de Dieu, et Galland insère plusieurs gags visuels à travers la série, s’amusant manifestement avec le chat tigré du couvent, qui vient régulièrement jouer les trouble-fêtes dans ses cases.
Bien qu’elle aborde des sujets sérieux, comme le racisme, la criminalité ou la cupidité des banques, la série L’Élixir de Dieu est avant tout une farce légère et fort amusante, dont le récit s’inspire autant de Sister Act que de la série télévisée Breaking Bad.
L’Élixir de Dieu – Tome 01 : Spiritus Sancti, de Gihef et Christelle Galland. Publié aux éditions Grand Angle, 64 pages.
L’Élixir de Dieu – Tome 02 : Deus Ex Alembicus, de Gihef et Christelle Galland. Publié aux éditions Grand Angle, 64 pages.