Un retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aurait trois conséquences immédiates: sur la santé publique mondiale, sur les échanges d’informations scientifiques, et sur l’influence américaine dans le monde, au profit de la Chine.
Parmi les 46 décrets présidentiels signés le 20 janvier par Donald Trump, l’un d’eux annonçait le retrait des États-Unis de l’OMS. Ce n’était pas en soi une surprise: son équipe de transition l’avait laissé entendre, Et surtout, Trump avait amorcé ce retrait vers la fin de son premier mandat, en juillet 2020; mais comme ce processus prend un an, Joe Biden l’avait interrompu à son arrivée au pouvoir en janvier 2021. Trump évoquait alors comme justification, tout comme le décret l’évoque aujourd’hui, un soi-disant contrôle de la Chine sur l’OMS, et les prétendus manquements de l’OMS au début de la pandémie de COVID.
Si rien ne change, le retrait prendra donc effet en janvier 2026. Les États-Unis sont censés avoir l’obligation de respecter leurs engagements financiers jusque-là.
Impact sur la santé publique mondiale
Le retrait aurait une première conséquence tangible sur la santé publique mondiale. Les États-Unis ont contribué, en 2022 et 2023, pour environ un cinquième du budget de 6,8 milliards$ de l’OMS. Parmi les tâches en continu de l’OMS: suivre à la trace l’évolution des maladies à risque de devenir des épidémies, comme le Zika ou l’Ebola. Parmi les interventions sur le terrain : des campagnes de vaccination contre la malaria, des programmes de lutte contre le sida et la tuberculose, des programmes pour améliorer la santé des mères et des enfants, de l’aide humanitaire dans des zones de conflits.
Perdre ces fonds voudrait dire retirer à l’OMS une partie de sa force de réaction rapide, commente dans un article de la revue Science le président de l’association Refugees International, Jeremy Konyndyk, qui avait conseillé l’OMS lors de sa réponse à l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 dans l’ouest africain. Science a publié cet article le 17 janvier, voyant venir ce décret présidentiel.
« Il y a eu plusieurs éclosions d’Ebola pendant le premier mandat de Trump », rappelle Konyndyk, et parce que l’OMS a chaque fois pu activer sa réponse d’urgence, « nous n’avons pas eu à dépenser un milliard de dollars de financement américain pour reprendre le contrôle » et empêcher que ces éclosions ne se transforment en une nouvelle épidémie.
Impact sur la science
La deuxième conséquence d’un retrait serait au plan des collaborations scientifiques: une sortie d’un gouvernement signifierait aussi une rupture entre l’OMS et les agences gouvernementales américaines de réputation mondiale, comme le Centre de contrôle des maladies (CDC) et l’administration des aliments et drogues (FDA).
Dans un commentaire publié le 21 janvier par le British Medical Journal, quatre professeurs de santé publique déplorent que cette annonce de Washington, en plus d’affaiblir l’OMS, va « isoler les États-Unis alors que les défis de la santé publique mondiale demandent de l’unité ».
En théorie, poursuivent-ils, des universités, des hôpitaux et des centres de recherche aux États-Unis qui ont déjà des collaborations avec l’OMS pourraient devenir de nouveaux intermédiaires pour ces échanges. Mais dans le contexte politique actuel, ça présente un risque pour ces institutions : plusieurs universités américaines « peuvent elles-mêmes faire l’objet de menaces sérieuses de la nouvelle administration, dont les membres les ont présentées comme des bastions d’une élite « woke ». La communauté mondiale devra aussi se battre contre une vaste augmentation de désinformation, qui fomente une méfiance contre la santé publique. »
Impact sur l’influence des États-Unis
La troisième et dernière conséquence sera une perte d’influence pour les États-Unis eux-mêmes : l’Assemblée mondiale de la santé, l’organe décisionnel de l’OMS, approuve les budgets et décide des priorités, de la vaccination jusqu’au contrôle du tabac. La Chine, pointée du doigt par Trump, pourra certainement en profiter pour accroître son influence sur les priorités de demain. Pour Jeremy Konyndyk, « si [leur] préoccupation est vraiment que l’OMS serait contrôlée par la Chine, alors retirer les États-Unis de l’équation » règle la question à l’avantage de la Chine.
La décision pourrait-elle être contestée?
En théorie, rappelait la revue Science, le Congrès pourrait s’interposer, puisque c’est par un acte du Congrès de 1948 que les États-Unis ont joint l’OMS. Cela supposerait qu’une petite poignée d’élus républicains fassent dissidence. Devant la longue liste de décisions annoncées dès le 20 janvier, il est toutefois difficile de prévoir lesquelles seraient jugées les plus importantes pour que quelques élus osent déroger à la ligne de parti.
Le retrait américain est également le reflet d’une nouvelle administration dont les membres n’ont pas caché leur aversion pour tout ce qui est « mondialisation », incluant les règlements et traités internationaux. À ce sujet, l’OMS a été ciblée ces dernières années par les mouvements conservateurs pour son projet d’un « traité sur les pandémies » qui viserait à renforcer la préparation des différents pays: ceux-ci s’engageraient à renforcer la surveillance, le partage d’informations, l’approvisionnement local en équipements médicaux. Les discussions ont été mises sur la glace en mai 2024, en partie à cause de l’opposition des États-Unis.