Pendant que les pompiers, en Californie, combattent toujours plusieurs incendies autour de Los Angeles, des experts mettent en garde à propos d’une crise à venir dans l’industrie de l’assurance, crise qui aurait d’énormes implications pour les travaux de reconstruction, ainsi que sur la façon dont les propriétaires bâtiraient de nouvelles maisons.
« Je crois que nous sommes sur le bord d’une crise financière majeure pour l’industrie de l’assurance », soutient ainsi Daniel Aldrich, un professeur de l’Université Northeastern.
Des estimations préliminaires des pertes assurées, dans le cadre du feu du quartier Pacific Palisades, font état de coûts de l’ordre de 10 milliards de dollars américains. Pour l’ensemble de la région de Los Angeles, on parlerait plutôt de 20 à 50 milliards.
Selon une analyse publiée par le San Francisco Chronicle, depuis 2019, plus de 100 000 Californiens ont perdu leur assurance habitation, alors que la région est de plus en plus souvent aux prises avec des feux de forêt dévastateurs. Les assureurs de cet État ont aussi fait monter leur prix, quand ils ne vont pas jusqu’à annuler, ou ne pas renouveler, leurs polices. Il est aussi arrivé que des entreprises quittent carrément l’État.
« Ce qui s’est passé en Californie, longtemps avant ces nouveaux feux, c’est que State Farm et d’autres assureurs ont commencé à retirer leur couverture de certains clients, en affirmant – il y a environ un an – que leurs risques étaient trop grands pour qu’ils continuent d’offrir leurs services dans cet État », a indiqué le Pr Aldrich.
« Pour vous donner une idée de ce que cela veut dire, sur les 12 grandes compagnies d’assurance, dans l’État, au moins cinq d’entre elles ont complètement cessé leurs activités, ou ont à tout le moins cessé d’émettre de nouvelles polices », soutient le chercheur. « C’est majeur. »
Toujours au dire du spécialiste, le gouvernement de l’État a vu venir les choses, et les élus ont cherché à modernisé le plan FAIR, un programme public qui est souvent considéré comme « l’assureur de dernier recours ».
Mis sur pied après une série d’incendies dans les années 1960, le plan FAIR exige des frais plus élevés que les assureurs privés, et offre une politique de « remboursement maximum » de l’ordre de 3 millions de dollars américains, pour les clients résidentiels, et 20 millions pour les clients commerciaux, plutôt que d’avoir une politique de remplacement.
On compte maintenant quelque 450 000 polices d’assurance FAIR à travers l’État, soit plus du double qu,en 2020. Selon le Los Angeles Times, chaque compagnie de cet État contribue à l’expansion du plan. Et toujours au dire du quotidien, ce même programme « va bien au-delà de ses capacités », avec une couverture assurable d’environ 300 milliards de dollars, mais avec seulement 200 millions en protection supplémentaire.
Le défi de la reconstruction
Comme l’explique le Pr Aldrich, si les pertes dépassent les réserves de FAIR, les assureurs privés oeuvrant toujours en Californie paieront le premier milliard manquant. Mais selon le spécialiste, même si FAIR peut rembourser ses assurés, les propriétaires de maisons devront surmonter bien des obstacles pour reconstruire.
« Nous avons que jusqu’à présent, 10 000 maisons ont brûlé dans les Palisades, avec un montant remboursable de seulement 3 millions de dollars par maison », dit encore le Pr Aldrich. « Disons que FAIR réussit à payer ces polices d’assurance. Le coût de la reconstruction, à lui seul, dépassera largement les 2,5 à 3 millions. »
« Pourquoi? Parce qu’après le choc, le marché de l’emploi et celui des matériaux de construction seront frappés de plein fouet: plusieurs propriétaires vivant dans les Palisades voudront reconstruire leur domicile au cours des prochaines années, ce qui signifie que tous les entrepreneurs en construction seront appelés à travailler dans ce secteur. C’est ce qui s’est passé à La Nouvelle-Orléans, après Katrina. Alors le prix de la main-d’oeuvre et celui des matériaux, comme le bois et l’acier, vont fracasser des records. »
« Alors que l’on en saura davantage sur l’étendue des dégâts, il pourrait y avoir des dysfonctionnements catastrophiques, que ce soit par le retrait des assureurs encore en activité, mais aussi par des banqueroutes et des faillites », dit M. Aldrich.
« Nous avons vu des centaines de petites entreprises, à travers la Louisianne, faire faillite dans la foulée de Katrina parce qu’elles n’étaient simplement pas prêtes à verser des compensations découlant des dégâts subits. »
Pas une surprise
Le chercheur reconnaît qu’il n’existe pas de solution miracle pour mitiger l’effet de ces catastrophes. Cela pousse à s’interroger: les humains devraient-ils construire dans de telles zones dangereuses?
Pour Joan Fitzgerald, une professeure spécialisée en politiques publiques et en enjeux urbains, la réponse est claire: il ne faut pas aller de l’avant en ce sens.
« Ce qui s’est produit ne devrait pas surprendre personne », affirme-t-elle. « Le fait que Miami Beach soit constamment inondé ne surprend personne. Le fait est que nous construisons à des endroits où nous n’aurions jamais dû construire. »
Dans la foulée de l’accélération des catastrophes provoquée par la crise climatique, l’industrie de l’assurance est confrontée à un nouveau calcul. Les primes ont augmenté un peu partout, aux États-Unis et ailleurs, en réaction aux changements climatiques; malgré cela, le coût de l’assurance, en Californie, est généralement demeuré sous la moyenne, comparativement à d’autres États régulièrement touchés par les affres climatiques, comme la Floride et le Texas.
De son côté, Reuters a fait état que l’an dernier, les catastrophes naturelles survenues un peu partout dans le monde, y compris en Turquie et en Syrie, touchées par des séismes, ou encore les feux de forêt survenus à Hawaï, ont entraîné des débours d’environ 100 milliards de dollars pour les assureurs.
« Cela fait partie de l’arrogance humaine que de penser que nous pouvons ignorer la nature », soutient la Pre Fitzgerald. « Selon moi, ce n’est pas une question de reconstruire pour être davantage résilients, mais de penser au fait qu’il y a des endroits où ne devons pas, ou ne devrions pas, reconstruire. Et les Palisades, par exemple, sont l’un de ces endroits complètement vulnérables. Cela, nous le savons à l’avance. »