L’Argentin aime… son histoire et son architecture
S’il est vrai que l’Argentine a un certain côté chaotique, y compris avec des enseignes publicitaires gigantesques, des devantures commerciales agressantes et des émissions de télévision criardes où les plans de caméra ne durent parfois qu’une fraction de seconde, on retrouve aussi un sens de la tradition, une grande fierté nationale pour le passé.
Après tout, la colonisation espagnole dans le pays est vieille de plusieurs siècles – Buenos Aires a été fondée environ 100 ans avant qu’un groupe de Français ne s’installent à Québec, dans le froid et la neige –, et il n’est pas rare, en se promenant dans la capitale, ou ailleurs dans le pays, de tomber sur des bâtiments remontant à ces origines. Bâtiments qu’il est encore possible de visiter, bien souvent.
Qu’il s’agisse de musées, de bâtiments officiels, ou encore de simples immeubles d’habitation, les villes argentines, et plus spécifiquement la capitale, regorgent de magnifiques façades, de balcons ouvragés… Tous des attraits visuels et architecturaux qui sont parfois placés juste à côté de tours anonymes en béton triste.
Mais cela n’empêche pas ces villes de « vivre » organiquement autour de ces pans d’histoire. Dans le centre historique de Cordoba, par exemple, l’une des plus anciennes écoles du pays est toujours en activité, plusieurs siècles plus tard.
À Buenos Aires, le Théâtre Côlon, un magnifique opéra (et le mot est faible), est toujours en excellent état, malgré le passage des années. De quoi déplorer, parfois, le triste sort réservé à une bonne partie du patrimoine architectural et historique québécois.
Et l’architecture dense des rues de Buenos Aires, par exemple, ou encore de Cordoba, a sa propre liste d’inconvénients, notamment le bruit quasi constant, surtout dans les quartiers centraux, en raison de la circulation des véhicules. Il ne fait aucun doute que les habitants du coin finissent par s’habituer, mais pour les voyageurs de passage, cet environnement sonore est parfois à la limite de l’insupportable.
L’Argentin aime… sa sécurité
Il faut voir la réalité en face: la situation économique est difficile en Argentine. Le président Milei affirme être en mesure de contrer des décennies d’inflation galopante et de marasme économique, mais en attendant, le taux de pauvreté dépassait les 50%, en septembre dernier.
Et si l’ordinaire s’est quelque peu amélioré pour une partie de la population, le salaire moyen oscille encore autour de 1000 $ CAN par mois. Pour le visiteur étranger, les prix pourront ainsi paraître risibles, notamment en ce qui concerne l’alcool, mais il est clair que pour le résident du pays, joindre les deux bouts est encore compliqué. D’autant plus que l’électricité, par exemple, coûte environ 10 fois plus cher qu’au Québec, en moyenne. Et que l’essence, un peu plus abordable qu’ici, est proportionnellement beaucoup plus chère pour l’Argentin lambda.
Tout cela se combine pour entretenir un sentiment quasi constant d’insécurité. Oh, les zones touristiques sont bien souvent exemptes de traces flagrantes de pauvreté, mais celle-ci se retrouve à la fois repoussée vers les marges, notamment les quartiers moins centraux, ou encore à l’intérieur même des appartements, qui sont parfois particulièrement petits, même si un immeuble peut sembler prestigieux, par exemple.
Dans ce contexte, est-on vraiment surpris que l’on nous dise, dès le départ, de porter notre sac à dos à l’avant, si l’on circule dans des quartiers centraux, par exemple, ou si l’on déambule dans une foire artisanale? De placer impérativement notre téléphone dans l’une de nos poches avant? De compter discrètement notre argent comptant?
Chez l’habitant, cette crainte du crime se traduit aussi par la multiplication des quartiers enclavés où les mieux nantis se font construire des maisons, parfois étrangement toutes semblables. Dans ces quartiers, surveillés 24 heures sur 24 par des compagnies de sécurité privées, et où il faut s’identifier à l’entrée et à la sortie, on circule presque uniquement en voiture, entre autres en raison du manque d’infrastructures pour les piétons et les cyclistes, et tous les commerces et services sont souvent à l’extérieur.
Dans ces quartiers, toujours, mais aussi ailleurs dans les villes, on installera des systèmes d’alarme, voire des grilles sur les portes et les fenêtres, voire des clôtures surmontées de pointes acérées, ou même de tessons de bouteille, ou encore de fil barbelé, lorsqu’il est question d’un bâtiment commercial, par exemple.
Il en ressort, dans les quartiers résidentiels moins centraux, un sentiment constant de crainte, comme si les criminels n’attendaient qu’une seule seconde d’inattention pour tenter de nous détrousser.
Le contraste est d’ailleurs parfois saisissant. À Cordoba, sortir de l’un de ces quartiers huppés et sécurisés nous mène directement dans une zone pauvre de la ville (les terrains y sont plus abordables, évidemment). Murs lézardés, toitures parfois en tôle, saletés, déchets qui jonchent le sol, voitures d’une autre époque… La dureté de l’existence au jour le jour est alors saisissante. Ça aussi, c’est l’Argentine. Tout comme ces toilettes du terminus d’autobus de Buenos Aires, pourtant un bâtiment central de la capitale, où l’on ne trouve bien souvent ni papier, ni siège pour aller sur les cuvettes. A-t-on peur que l’on vole les sièges en question? Poser la question, c’est peut-être y répondre.
L’Argentin aime… l’Argentine
Terre de contrastes, des contrastes parfois violents, même… Terre de paysages magnifiques, de gens accueillants, de toutes sortes de moments inoubliables, de découvertes étonnantes, de saveurs inédites. Terre de fierté, aussi; une fierté qui donne parfois l’impression d’être manipulée par l’État, comme avec toutes ces affiches clamant que « les Malouines appartiennent à l’Argentine » – ce qui est vrai, mais va-t-on relancer la guerre, 40 ans plus tard, pour le prouver? –, mais surtout une fierté qui vient des tripes, une fierté venue d’une histoire particulièrement riche, sans compter une fierté qui découle de plusieurs siècles à faire de cette grande bande de terre quelque chose comme un pays.
L’Argentin est généralement fier de son pays… ou encore de sa région, d’abord, puis de son pays, ensuite. Fier de gueuler fort, de profiter du bon temps avec ceux qu’il aime, de parvenir à se débrouiller malgré l’adversité, de relever la tête, de gagner le Mondial…
Et il est évident que trois semaines ne suffisent pas pour comprendre l’ensemble de l’esprit argentin. Comprendre ce pays de contrastes, de choix parfois bien étranges aux yeux d’un étranger, ce pays parlant un espagnol bien spécifique prononcé à toute vitesse…
Mais ce qui est certain, c’est que malgré ses défauts, malgré ses décisions sociétales parfois bien surprenantes, l’Argentine est un beau pays. Un pays qui gagne à être découvert, exploré, examiné, compris. Un pays à voir, donc. Même s’il faut se taper une vingtaine d’heures de transport pour s’y rendre en partant de Montréal, escale comprise.