Un robot peut-il parvenir lui-même à la sentience? En usant de logique et d’instructions simples, cette version artificielle d’un domestique a-t-il des chances de survivre à l’effondrement de la civilisation humaine? Dans Service Model, l’écrivain Adrian Tchaikovsky réussit brillamment à conjuguer récit d’aventures et réflexion philosophique.
Voici donc Charles, un robot domestique qui, de bon matin, tranche la gorge de son maître humain au moment de le raser. Pourquoi? Mystère. Le meurtre n’est pourtant pas compris dans ses instructions. Mais c’est ce « bogue » qui mènera notre protagoniste à explorer le monde qui l’entoure, au-delà des limites du manoir poussiéreux et sombre de son précédent employeur.
Et plutôt que de structurer son récit de façon traditionnelle, M. Tchaikovsky va plutôt suivre la voie de la logique robotique, avec toutes ses tautologies, ses absurdités et ses limites artificielles. Sans compter toutes ses boucles de rétroaction provoquées par des déclarations imprécises de la part des maîtres humains… Humains qui semblent d’ailleurs avoir disparu, à la suite d’une catastrophe multifactorielle dont on cherchera constamment à connaître l’origine.
Il aurait été possible de présenter une aventure multipliant les clichés du genre postapocalyptique, et l’auteur ne boude pas son plaisir en multipliant les références, notamment à Mad Max, mais aussi à… La divine comédie? Entre l’humour absurde, la tristesse liée à un monde détruit par la folie des hommes, et le sentiment un peu lugubre que notre civilisation n’est pas si loin que cela de l’effondrement – sans les robots, pour l’instant –, Service Model est un vent de fraîcheur au sein du sous-genre de la science-fiction postapocalyptique.
Non, nous ne sommes pas au niveau de Marvin, dans le Guide galactique, mais le contexte est différent, il faut en convenir. Et puis, qui voudrait d’un deuxième Marvin? Un seul robot british dépressif est bien suffisant comme cela…
Et donc, si Tchaikovsky évite les pièges habituels de ce genre de récits, il semble toutefois impossible de sortir complètement des sentiers battus. Après tout, les histoires de robots conscients, apocalypse ou non, partent généralement dans deux directions: le robot tueur, ou encore le robot philosophe. Et s’il est vrai que Charles a bel et bien tué son maître, en début de récit, il tiendra davantage de Descartes que de Skynet. Mais cela implique quand même certains clichés du genre. Car la réflexion philosophique sur la conscience, combinée à une grande remise en question des fondements de la société humaine, donnent potentiellement des résultats prévisibles.
Légèrement prévisible ou non, Service Model est un livre qui fait autant rigoler que réfléchir. Audacieux, surprenant, bien écrit, avec des dialogues mêlant absurdité et profondeur… Il ne fait aucun doute qu’Adrian Tchaikovsky sait écrire. Et c’est tant mieux!