Le gouvernement américain avait officiellement lancé les enchères pour des compagnies qui voudraient obtenir des permis de forage pétrolier ou gazier dans la réserve naturelle de l’Arctique. Le 6 janvier, au terme de la période pendant laquelle des offres pouvaient être déposées, personne n’avait donne signe de vie.
C’était même la deuxième fois qu’une telle enchère échouait à susciter de l’intérêt. La précédente avait eu lieu il y a quatre ans, dans les premiers jours de 2021: sur neuf des secteurs offerts, l’État de l’Alaska avait été le seul à déposer une offre, et la moitié des autres terrains n’avaient suscité aucune offre.
Ce qui rappelle qu’il existe une distance entre les propos des politiciens qui, aux États-Unis et ailleurs, promettent d’ouvrir les vannes à l’exploitation gazière et pétrolière, et l’intérêt réel des investisseurs.
C’est qu’entre le moment où on commence des forages sur un nouveau site, et celui où on commence à en tirer des revenus, il peut s’écouler plusieurs années. Et il faut qu’un investisseur soit près à miser gros : forer dans le Grand nord ne veut pas juste dire amener un équipement de forage. Ça peut aussi vouloir dire construire un port et de nouvelles routes. En tout, il peut s’écouler 10 ans entre les premiers forages et les premiers profits.
Un marché condamné?
Déjà en 2015, le géant néerlandais Shell avait abandonné ses forages dans l’océan Arctique, après y avoir investi 7 milliards de dollars. La raison invoquée avait été que les forages exploratoires n’avaient pas été concluants. Mais 10 ans plus tard, la justification risque plutôt d’être que si on doit se projeter de 10 autres années dans le futur, il n’est pas si sûr que le marché du pétrole sera encore en croissance. Dans l’Union européenne, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 8% en 2023, presque autant que l’année du confinement pandémique. Du côté de la Chine, les experts étrangers débattent depuis le début de 2024 quant à savoir si le pic des émissions de gaz à effet de serre a été atteint en 2023 ou bien s’il l’aura été en 2024. Enfin, dans le dernier rapport du GIEC, publié en 2022, on évoquait la possibilité d’atteindre le « pic pétrolier » en 2025.
Tout cela est en plus du fait que, ces dernières années, les banques et les fonds d’investissement ont été de plus en plus nombreux à se désengager des nouveaux projets de forage — jusqu’au Fonds souverain de Norvège, pourtant État pétrolier. Ils sont encore plus nombreux à intégrer le « risque climatique » dans leurs budgets. Du côté des compagnies d’assurance, certains des géants mondiaux ont quant à eux carrément décidé qu’ils cessaient d’assurer les nouveaux projets.
Quant au Refuge national de l’Arctique, c’est le président Joe Biden qui avait ouvert à l’exploitation pétrolière 1600 km2 (400 000 acres, contre 1 million d’acres que réclamait l’Alaska). Les élus républicains se disaient convaincus, rappelle le New York Times cette semaine, que l’ouverture aux forages « allait générer une manne de plusieurs milliards de dollars ». L’Alaska a promis de contester en justice la décision du ministère de l’Intérieur d’avoir offert aux enchères un plus petit territoire que prévu.
Réagissant dans un communiqué à l’échec de la mise aux enchères, la sous-secrétaire du département de l’Intérieur, Laura Daniel-Davis, note que l’industrie pétrolière et gazière reste « assise », ailleurs aux États-Unis, sur des millions d’acres de terrains pour lesquels elle a des permis de forage qu’elle n’utilise pas. Donald Trump a souvent répété son intention de multiplier en 2025 les autorisations de forer, mais il n’aura pas le pouvoir de forcer la main aux administrateurs des compagnies pétrolières, des banques ou des compagnies d’assurance.