Le réputé cinéaste espagnol Pedro Almodóvar semble encore en phase d’exploration avec un effort aux intentions louables, mais à l’exécution qui ne convainc malheureusement pas assez. The Room Next Door, sans être un rendez-vous manqué, pourtant auréolé du prestigieux Lion d’or à Venise, aurait certainement pu être meilleur.
Almodóvar fait d’une pierre deux coups avec son plus récent film, proposant son premier long-métrage depuis Madres Paralelas, mais aussi son premier en langue anglaise. Il renoue d’ailleurs avec Tilda Swinton, vedette de son premier essai dans la langue de Shakespeare, The Human Voice, toutefois intitulé La voz humanas, un court-métrage aux élans expérimentaux, les origines provenant d’une pièce de Jean Cocteau oblige. L’imposante actrice au talent qui n’est plus à prouver peut donc officiellement se joindre à la longue liste de muses du cinéaste.
Et comme ce ne sont pas tous les réalisateurs qui peuvent, comme le coréen Park Chan-Wook, pondre une merveille à la Stoker, la barrière des langues impose ici ses limites.
De fait, cette adaptation libre du roman What Are You Going Trough de Sigrid Nunez, publié en 2020, s’avère régulièrement incapable de convaincre. D’une part parce qu’importe le talent de ceux réunis (Swinton est rejointe par nulle autre que la grande Julianne Moore, deux actrices oscarisées) les dialogues font souvent défaut, mais aussi parce qu’on semble illustrer une version fantasmée de l’Amérique, principalement dans de désolants flashbacks en majorité inutiles, de ce qui semble comme la vision imaginée du continent par un étranger.
Dur de croire avec conviction à cet amant d’hier qui sombre dans la folie et l’alcool après les traumas de la guerre, tellement c’est illustré de la manière la plus clichée possible.
Certes, le kitsch et les dérives des telenovela ne sont jamais très loin chez l’artiste, mais le ton assez sérieux conservé tout du long se marie mal avec le reste, nous empêchant régulièrement de croire entièrement à ce qui se déroule sous nos yeux.
C’est que le film aborde de plein front le désir de mourir pour quelqu’un qui n’a plus vraiment rien à perdre. De sujets graves traités avec douceur, tendresse et humanité, passant principalement par la force de ses personnages féminins.
Pourtant, même Swinton et Moore n’arrivent pas toujours à rendre crédibles certains dialogues, comme lorsque l’une d’elle lance à la blague que tous les fruits sur le comptoir seront uniquement pour son invité et qu’elle devra tout manger ou que l’autre doit interagir avec un séduisant entraîneur au gym du coin.
Arrivé sur le tard, Alessandro Nivola fait du mieux qu’il peut alors qu’il avait étonnamment un plus grand terrain de jeu récemment dans Kraven the Hunter. D’un rôle particulièrement anecdotique, John Turturro est probablement celui qui s’en sort le mieux lors de ses quelques apparitions sans conséquences, n’en déplaise aux dialogues évoquant l’urgence climatique qu’il doit déblatérer.
Si le directeur photo a changé, cela n’empêche pas la production d’être encore visuellement riche, tirant le meilleur profit des couleurs et des textures, surtout des fruits, qui se retrouveront dans tout le long-métrage. Des couleurs des murs jusqu’à la mode magnifique qu’Almodovar fait porter à ses interprètes, on sent encore tout le soin artistique qu’on insuffle dans chaque plan. La maison de retraite qu’on a choisi, située en Espagne et non en Amérique, vaut à elle seule l’écoute pour l’excellence architecturale qu’elle exhibe.
Au reste, les mélodies de Alberto Iglesias continuent d’être d’une nécessité essentielle aux univers du cinéaste, bien que ce ne sont pas tous ses thèmes musicaux qui marquent l’imaginaire, alors que le montage de Teresa Font aurait toutefois encore pu couper davantage dans le gras.
En effet, beaucoup de portes sont ouvertes et on tente de ratisser large, n’en refermant que bien peu à l’inverse de celle de la mourante qui prendra une signification bien précise dans le film qui nous intéresse. On démontre un intérêt à vouloir parler du journalisme, de la guerre, du sort du monde actuel, de l’amitié, des tabous, de la famille et on en passe. Sauf qu’on a bien plus l’impression d’une liste à cocher sans jamais vraiment de désir d’approfondir quoique ce soit.
On croit néanmoins à la complicité qui se dessine comme une caresse entre les deux actrices principales, mais moins aux motivations qui les entourent, celles-ci restant un peu trop vagues sur trop de sujets. On préfère ainsi y voir une allégorie sur la vie par le biais de la mort, rien de plus classique.
Se terminant comme un cycle, autant de la vie que du temps et des saisons qui passent, au gré de la fin d’une parenthèse qui se dessine visuellement avec splendeur, on regrettera que cet opus manquera de cette beauté et cette poésie pour se montrer plus marquante. De l’adaptation d’un livre qui aura pris moins de cinq ans pour voir le jour, on se dira que la production de The Room Next Door aurait pu faire preuve de plus de travail.
5/10
The Room Next Door prend l’affiche en salles le vendredi 10 janvier.