Il y a 30 ans, celui que plusieurs considèrent comme le plus grand vulgarisateur du 20e siècle, l’astronome américain Carl Sagan, prédisait la crise de confiance qui imprègne aujourd’hui une partie de la population et nourrit des groupes idéologiques et des partis politiques dans plusieurs pays.
Qu’est-ce que la science, à la base? C’est davantage qu’un simple « ensemble de connaissances. C’est une façon de penser », écrivait-il dans son dernier livre, The Demon-Haunted World — un livre qui, paru en 1995, passait au crible pseudosciences et fausses croyances mais qui, surtout, s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles nous voulons croire, et sur la facilité avec laquelle une société pourrait délaisser les faits au profit des croyances.
J’ai le pressentiment d’une Amérique, au temps de mes enfants ou de mes petits-enfants, devenue une économie de services ou d’information, où presque tous les emplois manufacturiers auront quitté pour d’autres pays, où des prouesses technologiques étonnantes seront entre les mains de quelques privilégiés, et où nul représentant de l’intérêt public ne pourra même comprendre les problèmes.
-Carl Sagan
Si on en arrive là, poursuivait-il, « serrant nos cristaux et consultant nerveusement nos horoscopes, notre esprit critique en déclin, incapables de faire la distinction entre ce qui nous fait sentir bien et ce qui est vrai, nous glissons, presque sans nous en apercevoir, à nouveau vers la superstition et les ténèbres ».
D’abord astronome et professeur d’université, associé aux premières sondes spatiales de la NASA vers Vénus et Mars, Carl Sagan était aussi progressivement devenu vulgarisateur dans les années 1960 : à travers ses livres sur l’astronomie, puis ses apparitions à la télé où ses talents de communicateur s’étaient révélés, et enfin à travers la série documentaire Cosmos, en 1980: tout au long de ses 13 épisodes, celle-ci traitait des planètes et des galaxies, de l’histoire des sciences et de l’origine de la vie sur Terre, en plus de spéculer sur la vie extraterrestre et l’avenir de l’humanité.
Carl Sagan était d’ailleurs préoccupé par cet avenir, et après Cosmos, il allait écrire sur les risques d’un « hiver nucléaire » qui suivrait une guerre totale. Il était aussi préoccupé par les crises environnementales alors émergentes. Mais il était surtout préoccupé par une autre crise, qui n’avait alors pas de nom: celle de l’ignorance érigée comme une fierté, une bravade face aux experts.
Dans sa dernière entrevue télévisée, avec le journaliste Charlie Rose du réseau public PBS, en mai 1996 — il était alors atteint d’une maladie incurable de la moelle osseuse — il revenait sur cette crainte d’une déconnexion entre le savoir des experts et celui du public.
« Nous avons créé une société de science et de technologie dans laquelle personne ne comprend quoi que ce soit de la science et de la technologie, et ce mélange délétère d’ignorance et de pouvoir va tôt ou tard nous éclater en plein visage. » Parce que, craignait-il, si des gens n’osent pas poser des questions, ou qu’ils rejettent les réponses, « alors nous sommes prêts à être attrapés par le prochain charlatan, politique ou religieux ».
Carl Sagan est décédé le 20 décembre 1996.