Disons que le cinéaste documentariste Joshua Oppenheimer n’a certainement pas fait les choses à moitié pour son passage vers le long-métrage de fiction. En effet, son somptueux The End est une ambitieuse fresque de plus de deux heures racontant, par le biais du drame musical, l’apocalypse en toute intimité. L’objet bizarroïde fascine et ennuie à parts quasi égales.
D’une richesse visuelle impressionnante, gracieuseté notamment des superbes images de Mikhail Krichman, collaborateur régulier de Andrey Zvyagintsev, la fin du monde représentée par Oppenheimer ne met pas en scène les bunkers habituels. Au contraire, avec ses nombreuses oeuvres d’art sur les murs, l’élégance dans chaque pièce, si ce n’était des escales dans les grottes, on se croirait dans le plus luxueux des manoirs.
C’est qu’on s’en doutera, sous ses airs plus léchés, le réalisateur n’a certainement pas délaissé ses intérêts sociaux, s’amusant à décortiquer les torts de la bourgeoisie au fur et à mesure que son film avance.
La petite famille d’apparence parfaite, un peu comme ces peintures qui cachent peut-être ou pas certaines usures, verra son image craquer sous la surface, lorsqu’une étrangère viendra remettre en question les fondations de leur routine implantée depuis plusieurs décennies, beaucoup plus fragiles qu’ils n’y paraît.
Des acteurs plus que solides
Par ailleurs, la distribution de haut calibre est sans mal dominée par les toujours aussi impeccables Tilda Swinton, Michael Shannon et George MacKay. Les deux premiers ont tout le talent nécessaire pour jouer les nuances de ces personnages problématiques, et le troisième est parfait pour incarner l’ambiguïté de l’âge de son personnage n’ayant jamais connu le monde d’avant, entre naïveté et prétention.
On se permet aussi d’y joindre Tim McInnerny et Bronagh Gallagher, à qui l’on offre trop rarement la chance de briller autant. Sans oublier Lennie James et une lumineuse Moses Ingram, qui vient souvent voler la vedette en causant tout un remue-ménage.
Suivant la tradition des films chantés à la lettre, tout le monde pousse la note avec aisance pour y clamer les paroles écrites par le cinéaste lui-même, sur des airs souvent très beaux et réussis de Marius De Vries (La La Land), mais aussi de Josh Schmidt.
Sur des chorégraphies souvent discrètes, on se permet de rares moments qui semblent évoquer les films de Gene Kelly, à une autre époque.
Par contre, fin du monde oblige, l’ensemble demeure assez lourd. Les élans de folie sont souvent éclipsés par des thèmes à la gravité s’accordant néanmoins à l’ensemble, souvent en lien avec les véritables raisons et motivations qui les ont tous poussés à se retrouver en aussi petit nombre dans ce refuge.
C’est d’autant plus difficile d’adhérer à plusieurs des principes du film, quand la logique interne de celui-ci pose quelques problèmes (la question de l’approvisionnement, notamment) et que la finale semble tendre vers un optimisme qui cadre mal avec le reste.
The End demeure une oeuvre assez unique en son genre qui saura ravir ceux qui voudront s’abandonner à un exercice aussi soigné et singulier.
7/10
The End prend l’affiche en salle ce vendredi 13 décembre.