Quiconque veut désinformer a intérêt à exploiter la colère de son public: lorsqu’une fausse information choque, elle est davantage partagée… et plusieurs de ceux qui la partagent ne prennent même pas la peine de la lire.
C’est ce qui ressort d’une recherche publiée le 28 novembre dans la revue Science. Sans surprise, les nouvelles fausses ou trompeuses — ce qu’on appelle de la désinformation — provoquent en effet davantage de colère que les nouvelles fiables, et elles sont moins lues que ces dernières… ce qui ne les empêche pas d’être davantage partagées. Les chercheurs constatent que la désinformation qui a le plus de succès est celle qui exploite la colère, et même plus : ce qu’ils appellent « l’outrage », soit un mélange de dégoût et de colère.
Les psychologues et les journalistes vérificateurs de fausses nouvelles l’avaient constaté depuis longtemps : l’émotion est un facteur-clef pour déterminer si une campagne de désinformation aura ou non du succès. Mais on parle alors autant d’émotions positives que négatives. Or, cette nouvelle recherche conclut que parmi toutes ces émotions, l’outrage est une valeur sûre.
Les chercheurs ont mené en tout huit études à partir des données portant sur un million de liens Facebook et 24 000 usagers de Twitter, répartis à travers les années 2016 et 2020.
Il faut se rappeler que l’émotion est aussi au coeur même du fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux: le contenu — vidéo, photo ou texte — qui va « monter » le plus dans les fils des usagers sera celui qui aura provoqué le plus « d’engagements », c’est-à-dire le plus de « j’aime » et de »partage ». Et c’est bien évidemment sur la base d’une émotion, et non d’une réflexion, que l’usager moyen clique spontanément sur le bouton « j’aime » ou « partage ».
Comme le précise la co-auteure, la juriste Kate Klonick, le fait que l’info soit vraie ou fausse a donc peu de poids. Ça en a encore moins quand on apprend qu’en plus du fait que la colère domine, certaines de ces personnes choquées, même lorsqu’elles pouvaient dire que la nouvelle qu’elles partageaient était fausse, « s’en fichaient ». Ce qui primait était l’émotion que cette nouvelle avait déclenchée.
D’un point de vue psychologique, on pourrait croire, lit-on dans la recherche, que certains usagers « peuvent partager des contenus choquants et faux, pour montrer leur position morale ou leur loyauté à leurs groupes politiques ».
À l’inverse toutefois, puisque tous ceux et celles qui partagent une fausse information ne réagissent pas d’une manière aussi extrême, cette recherche pourrait, espèrent les auteurs, permettre d’identifier les circonstances où de la désinformation est moins « gouvernée par les émotions ». Puisque c’est dans ces circonstances qu’une intervention pour rétablir les faits serait plus efficace.