Créée par François Paquet et Yves Lessard, deux travailleurs de longue date du milieu hospitalier, la série Stat – Une urgence en BD, qui compte déjà trois albums à son actif, s’amuse des travers de notre système de santé. Comme quoi il vaut parfois mieux en rire…
En plus d’œuvrer dans le domaine de la santé, François Paquet, un spécialiste en médecine d’urgence comptant plus de trente années d’expérience, et Yves Lessard, un infirmier nouvellement retraité, partagent une autre passion : la bande dessinée. Depuis 2011, profitant des rares temps libres que leur laisse un métier ayant la fâcheuse manie de devenir accaparant, ils signent ensemble Stat – Une urgence en BD, une série humoristique dans laquelle les deux comparses s’inspirent de leur carrière professionnelle ainsi que d’échanges avec des collègues, des patientes et des patients, pour dépeindre la situation dans les urgences et critiquer lucidement (mais jamais méchamment) un système qu’ils ne connaissent que trop bien.
En partant, avouons qu’il faut un sacré sens de l’humour pour trouver matière à rire dans les différentes problématiques auxquelles les professionnels des urgences, et les patients, sont confrontés au quotidien, et les trois albums de la série Stat – Une urgence en BD sont remplis de gags légers au ton bon enfant. Les situations dépeintes dans la bande dessinée scénarisée par François Paquet et illustrée par Yves Lessard sont inspirées de faits qui sont réellement survenus, quoique l’on espère que certains d’entre eux, comme l’infirmière réveillant un patient pour lui donner son somnifère ou l’employé utilisant un défibrillateur pour se cuisiner un grilled-cheese, ne sont que de la pure fiction.
Que ce soit les problèmes d’approvisionnement de matériel, le manque de personnel, la désuétude des établissements, la qualité de la bouffe d’hôpital, le temps supplémentaire obligatoire, les erreurs du laboratoire d’analyses, la rigidité des équipes administratives et des gestionnaires (qui sont responsables de tout « sauf de l’imputabilité »), l’écriture illisible des médecins, les civières entassées dans les corridors, les difficultés de la médecine en région, la surmédication ou l’agressivité des patients attendant d’être soignés, aucun aspect du système de santé n’est épargné par les auteurs de Stat, et ceux-ci parviennent à faire des blagues très drôles avec des sujets sérieux qui tapissent habituellement les bulletins de nouvelles.
La série compte plusieurs personnages récurrents, dont les infirmiers Tank et Flo, Dan le préposé, Ying Yand le médecin résident, Mike le chef médical de l’urgence, ou monsieur Tremblay, l’éternel patient. La bande dessinée démystifie en prime plusieurs termes techniques liés au monde hospitalier. « Stat » par exemple provient du latin « Statim », et signifie « à l’instant, sans tarder ». On y apprend aussi la signification des différents codes de couleur désignant un appel d’urgence visant à informer les employés d’un établissement de santé d’une situation en cours. Manifestement férus de culture populaire, les créateurs truffent leurs pages de références à Star Wars, à James Bond, au Seigneur des anneaux, à Alien, et même à Doctor Who.
Il est intéressant de voir l’évolution constante de la série. L’album Les archives (qui regroupe les deux premiers tomes publiés originalement en 2011 et 2014 ainsi que de nombreux inédits provenant de magazines ou du Web) se présente sous la forme de « strips » comme ceux publiés dans les pages des journaux, soit des gags se déclinant en deux ou trois cases au maximum. Code bleu délaisse cette formule en faveur d’histoires d’une page. Le troisième volume, intitulé La pandémie Ohshit, propose un seul et unique récit s’étalant tout au long de l’album, dans lequel un virus désinhibant les personnes infectées, qui disent à voix haute tout ce qui leur passe par la tête sans aucun filtre, contamine la population à l’échelle mondiale.
Le style graphique simple, mais efficace d’Yves Lessard dans Stat fait penser au travail du caricaturiste Bado, qui a longtemps égayé les pages du quotidien Le Droit, mais son coup de crayon se raffine au fil des albums. L’artiste se concentre davantage sur les personnages dans Les archives, et se contente d’arrière-plans assez sommaires, sans beaucoup de relief. Toutefois, ses décors deviennent de plus en plus élaborés à partir de Code bleu, et ses cases sont encore plus denses et vivantes dans La pandémie Ohshit. Il s’amuse également à créer des petits gags dans le bas de ses pages à partir d’une ligne d’électrocardiogramme, dans une démarche évoquant les mouettes de Franquin dans les albums de Gaston Lagaffe.
Au lieu de leurs vieux magazines, les urgences de tous les hôpitaux du Québec devraient avoir des copies des trois albums de Stat, non seulement pour agrémenter d’une bonne dose d’humour les interminables temps d’attente avant de voir un médecin, mais surtout pour aider les patients à mieux comprendre la réalité du personnel soignant.
Stat – Les archives, de Yves Lessard et François Paquet. Publié aux éditions Moelle Graphik, 80 pages.
Stat – Code bleu, de Yves Lessard et François Paquet. Publié aux éditions Moelle Graphik, 48 pages.
Stat – La pandémie Ohshit, de Yves Lessard et François Paquet. Publié aux éditions Moelle Graphik, 64 pages.