Le sujet n’est certainement pas particulièrement joyeux: la question du suicide a longtemps été taboue – et l’est encore un peu, de nos jours. Et si les enjeux liés à la santé mentale et à la dépendance aux drogues et autres substances, tous des facteurs pouvant mener au suicide, il est toujours difficile de non seulement réussir à « rejoindre » les personnes affectées, mais aussi à leur offrir l’aide nécessaire. Dans son adaptation du texte de la Britannique Alice Birch, la metteure en scène Brigitte Poupart propose Anatomie d’un suicide, une oeuvre presentée à l’Usine C.
Elles sont trois: trois générations, trois femmes, toutes affectées par le même mal, par ce poison sournois qui ronge peu à peu l’espoir et la joie de vivre, pour ne laisser que la colère, le désespoir et, ultimement, la mort.
Trois femmes, donc: une grand-mère, deux mères, deux filles… Les personnages interprétés par Sarianne Cormier, Amélie Dallaire et Larissa Corriveau, tous issus de la même fratrie, errent dans trois générations où la dépression et la mort rôdent.
À leurs côtés, des conjoints incompétents ou absents, quand il ne s’agit pas d’un mélange des deux; sans oublier un système médical inapte, incapable de les aider à corriger les problèmes dont souffrent ces femmes éplorées.
Pendant près de deux heures, voilà ces femmes qui cherchent à s’en sortir, ou, à tout le moins, à exister. Bien souvent dans de gigantesques tableaux tirant profit de la très grande scène de l’Usine C, où des groupes de personnages semblent presque se répondre à travers les générations, leurs voix qui empiétant les unes sur les autres, qui se complétant lors de certains échanges.
Et à travers ce chaos vocal et visuel, on trouve une certaine sérénité, quelque chose comme une centralité, peut-être. Un cordon ombilical, bref, qui relie tout ce beau monde.
On comprend, d’ailleurs, l’idée de faire se télescoper certaines répliques et de forcer, à quelques reprises, le spectateur à devoir choisir ses interprètes, ou encore choisir les espaces scéniques sur lesquels il veut concentrer son attention. Comme si cette question du suicide avait des allures de nuée d’abeilles, généralement toutes unies, mais aussi capables d’indépendance.
Quelques irritants
Ce qui accroche beaucoup, cependant, c’est d’abord cette tendance à s’appuyer sur des visuels et des bruits stridents pour symboliser un changement de scène, par exemple, ou encore donner le temps de réarranger des éléments de décor. La méthode fonctionne une fois, peut-être deux. À la troisième occasion, on se prend à grincer des dents. Il y a tout de même des limites à vouloir tomber sur les nerfs du public.
Ensuite, si le texte d’Alice Birch propose bel et bien une exploration importante de la question du suicide et de tous les facteurs qui peuvent y contribuer, nos trois personnages féminins semblent surtout vouloir se complaire dans leur état misérabiliste. Oh, on a bien, pendant un instant, l’esquisse de l’origine du problème, et l’on peut comprendre qu’à une certaine époque, parler de suicide était plus que tabou, mais pourquoi chaque personne semble-t-elle incapable d’un minimum de bon sens?
Pourquoi n’a-t-on pas de dialogues pour parler de ces suicides de mère en fille? Pourquoi ne semble-t-on jamais chercher à s’en sortir? Et tout cela, c’est sans compter les sons ou les éléments de décor – comme cette baignoire débordante, en début de pièce, qui enterre les dialogues – qui viennent gâcher l’expérience.
Bref, le texte d’Anatomie d’un suicide, notamment avec ses échanges quasiment intergénérationnels, est très bien interprété par une solide distribution. Dommage, toutefois, que plusieurs autres éléments viennent franchement gâcher l’expérience. Le sujet est brutal, mais nécessaire, certes. Ce qui est moins nécessaire, c’est d’irriter les spectateurs.
Anatomie d’un suicide, d’Alice Birch, mis en scène par Brigitte Poupart en collaboration avec Ryoichi Kurokawa
Avec Sarianne Cormier, Amélie Dallaire, Larissa Corriveau, Renaud Lacelle-Bourdon, Jean-François Nadeau, Guillermina Kerwin, Louis Carrière, Marine Johnson, Marie Bernier et Alexis Lefebvre
À l’Usine C jusqu’au 7 décembre