Le mot terrible a été dit: poésie. Oui, il est bien question de poésie, dans la pièce Carton rouge, une oeuvre théâtrale de Sébastien Dodge qui prendra l’affiche cette semaine, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Mais selon l’auteur, justement, la vie elle-même est poésie. Raison de plus pour y plonger. Entrevue.
La présentation de cette pièce survient à un bien drôle de moment; comment qualifier, après tout, cette coïncidence entre une oeuvre parlant de la lutte d’un militant environnementaliste et la réélection de Donald Trump, aux États-Unis, climatosceptique notoire et prêt à tout pour avantager ses amis travaillant dans des industries polluantes?
« Cela fait longtemps que nous répétons… Les textes existent depuis un certain temps, et c’est un narratif que nous aimons bien défendre, mais il est certain qu’au lendemain de cette élection, les mots avaient une tout autre portée. Nous semblions l’avoir écrite le jour même ou la veille », lance M. Dodge, lors d’un entretien téléphonique accordé à Pieuvre.ca.
Devrait-on espérer que la situation mondiale se calme, afin que les oeuvres créées par les artistes soient moins tourmentées, d’ailleurs? « Le matériau de base du poète, ou de la poésie, est effectivement toujours le drame, la tragédie. Des histoires où tout se passe bien, comme La mélodie du bonheur, c’est rarement très intéressant », ajoute l’auteur et comédien, sourire en coin.
« Ce qu’on aime, en tant qu’humains, c’est un peu d’être voyeurs d’un drame. Mais là, c’est un drame que l’on partage tous. Les artistes sont un peu le canari dans la mine. C’est comme la voix de l’opprimé qui résonne, la voix de la colère. Et je pense que c’est un rôle que l’artiste se doit d’accepter », poursuit M. Dodge.
Ce dernier rappelle par ailleurs qu’il se penche sur les enjeux liés au colonialisme, au capitalisme, au libéralisme économique et autres « ismes » néfastes depuis près d’un quart de siècle. Carton rouge s’imbrique donc dans cette structure à la fois dénonciatrice et revendicatrice de changements.
De la poésie, encore et toujours
A-t-on inutilement peur du mot poésie? Sébastien Dodge s’inscrit d’ailleurs en faux par rapport à l’idée qu’offrir de la poésie au public représente un défi pour les créateurs artistiques. « Cela dépend de nos propres préjugés, par rapport au terme, mais quand on y pense, la poésie, c’est le matériau de base, c’est la première substance qui a été travaillée », lance-t-il.
« La poésie, on en crée au quotidien sans s’en rendre compte. On la vit tous les jours. Écouter des chansons par exemple, c’est écouter de la poésie mise en musique. La poésie est partout. »
-Sébastien Dodge, auteur de la pièce Carton rouge
« Pour moi, qui a milité beaucoup, je trouve que la poésie est l’arme de dernier recours; lorsque l’on a tout essayé, il reste les mots que l’on peut transformer en arme pour une lutte ou un combat. En ce sens-là, la poésie est très utile; on peut dénoncer plein de choses, ça peut être très incisif », poursuit M. Dodge, qui n’hésite pas à parler de « poésie de combat ».
Mathieu Gosselin, qui a lui aussi contribué au texte de la pièce, puise également dans la poésie, mais « est davantage dans la compassion, dans l’humain », précise Sébastien Dodge.
Celui-ci indique par ailleurs que son style a évolué, avec les années. « Au début, j’étais davantage dans la satire, dans l’humour noir, dans des formes scéniques plus violentes, plus dramatiques, plus burlesques. J’ai même flirté avec le gore et le western », lance-t-il.
Pour Carton rouge, toutefois, l’auteur dit « avoir voulu essayer autre chose ».
« Au départ, c’était un spectacle en quatre parties, donc une section de poésie guerrière; on voulait davantage brasser les affaires, c’était plus rentre-dedans. On voulait crier notre révolte. Mais là, on est au Théâtre d’Aujourd’hui, on va parler à des gens qui connaissent les enjeux. L’approche est différente; ça ne donne rien d’essayer de les convaincre… ils le savent déjà! Je pense que l’approche est plus en communion, en partage avec eux. »
D’où, ajoute Sébastien Dodge, une certaine complicité en faisant appel à l’humour. « On a envie d’essayer autre chose; avant, je ne jouais jamais dans mes pièces… Mais ça a changé. J’ai eu envie de faire une sorte de prise de parole, avec un monologue, etc. Et donc, oui, la formule évolue avec le temps. »
M. Dodge est aussi conscient que le public du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, régulièrement exposé à des problématiques sociétales, a parfois besoin de se faire « brasser la cage ». « Oui, il y a de l’humour, mais c’est aussi un genre de réveil-matin. Je trouve que le théâtre est souvent en décalage par rapport à la réalité crue; je pense qu’il y a de la place pour aborder ces thématiques avec le public, mais il faut être complice, avec l’humour. Sinon, les gens vont décrocher », affirme-t-il.
« Nous ne sommes pas là pour faire la morale… Nous sommes là pour partager une douleur avec énergie. »
Carton rouge, de Sébastien Dodge
Présentée à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 27 novembre au 7 décembre