C’est à peine arrivée à Montréal que l’artiste multidisciplinaire Julie Delpy a pu assister à une fascinante et fort divertissante séance de Questions et réponses. Celle-ci suivait la projection des Barbares, son plus récent film en tant que cinéaste, dans le cadre du Festival Cinémania. Un pur moment de bonheur pour tous ceux qui étaient présents.
Un petit village rural français s’apprête à accueillir des réfugiés ukrainiens, ce qui ne fait pas l’unanimité.
Il y avait de quoi avoir peur, à l’image de plusieurs des personnages de son film d’ailleurs. Ce genre de comédies sur le choc des cultures est capable du pire comme du meilleur, la ligne étant particulièrement mince pour rester dans le bon goût et ne pas tomber dans le racisme ou la xénophobie. D’autant plus que selon qui est impliqué, qui est le public cible et qui est derrière la création peut jouer autant dans la faveur ou en défaveur de l’oeuvre qui, inévitablement, devra toucher à bon nombre de préjugés.
Par exemple, malgré un premier film qui s’en sortait pas si mal, suivant un succès démultiplié, la franchise Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu? perdait des plumes à chaque nouveau chapitre. Et, de notre côté de l’Atlantique, plusieurs essaient encore de se remettre de l’infâme French Immersion.
Certes, le talent de Julie Delpy et l’appréciation qui en découle demeurent infinis. Après tout, ces chocs culturels ont défini plusieurs de ses films les plus réputés. Que ce soit la trilogie des Before – à laquelle elle a participé à de multiples niveaux, dans un grand partenariat avec ses collaborateurs Ethan Hawke et Richard Linklater, en plus d’y tenir la vedette, mais jamais à titre de réalisatrice –, jusqu’à son diptyque composé des films 2 days in Paris et 2 Days in New York. Sauf que les craintes fondées à savoir si elle aurait le doigté nécessaire pour aborder un sujet aussi actuel, surtout par le biais de la comédie, persistaient.
Qu’on se rassure. Loin du petit naufrage qu’était Lolo, son dernier essai comique, Les barbares est plutôt ici un petit triomphe à la subtilité et à la richesse qui épatent régulièrement, découlant d’un travail d’écriture et de recherche qui auront culminé en près de 10 années. Les modifications selon l’ère du temps donneront d’ailleurs droit à un excellent gag sur la raison du pourquoi on passe des Ukrainiens aux Syriens.
Déjà, autant pour ceux qui ne la connaissent pas (Delpy n’a pas peur d’être très vocale à propos de ses positions) ou ceux qui s’attendent à un autre genre de film, disons que le long-métrage réserve bien des surprises quant à la réelle signification des barbares dans son titre. Pour ceux qui ne le verrait pas venir, inutile de cacher que Delpy et ses comparses remettront en question, tout du long, de qui il en retourne vraiment, lorsqu’il est question des comportements les plus odieux.
Les clichés passent, les préjugés aussi et c’est inévitable. Sauf qu’ils sont déployés avec un savoir-faire souvent surprenant. Non seulement parce que l’écriture est fine et les gags sont insérés avec un brio certain (les noix et l’andouille notamment), mais aussi parce que la dévotion de son excellente distribution fait plaisir à voir.
Au-delà de Delpy, qui s’est encore donné l’un des rôles principaux, et qui en a offert un à son père Albert, pour notre plus grand bonheur, on peut compter sur les toujours justes Sandrine Kiberlain et India Hair, mais aussi sur la surprenante Dalia Naous.
Ensemble, elles forment un choeur de femmes qui donnent vie à un film foncièrement féministe, et ce, de manière involontaire comme nous l’a avoué sa cinéaste, n’en ayant constaté la tenure que lorsqu’elle s’est mise à l’assembler au montage.
C’est d’autant plus renforcé par les performances caricaturales de Mathieu Demy et Laurent Lafitte, qui ont un plaisir évident à jouer à contre-emploi.
L’autre coup de génie est d’avoir placé, au coeur du film, la famille de réfugiés et de les développer avec attention, et de peu à peu laisser les habitants du coin devenir les personnages secondaires du récit. Pas question de donner dans le culturalisme façon Bienvenue chez les ch’tis, ici. Il y a tellement eu de films sur les Français, sur les gens de régions… On a donc l’audace d’aller bien au-delà de son propre nombril.
Lentement, mais sûrement, le point de vue de sa cinéaste devient de plus en plus clair, au fil des nombreux actes qui divisent l’ensemble.
À travers le prisme d’un microcosme assumé, reflet d’un monde de plus en plus à risque, le village de Paimpont en Bretagne est tour à tour invitant et inquiétant. Plusieurs pointes sont certes, pas toujours les plus subtiles, mais l’assurance de l’ensemble est trop rondement menée pour bouder son plaisir, surtout au biais de 101 minutes adroitement dirigées et rythmées.
Tour à tour hilarant, en plus d’être sincèrement touchant lorsque nécessaire, Les barbares est un film grand public risqué, mais qui tire admirablement bien son épingle du jeu. Fait avec soin, mais surtout avec coeur, on en ressort revigorés, amusés et avec une envie de s’ouvrir plus que jamais à l’autre.
8/10
Les barbares a été vu dans le cadre de Cinémania le Festival de films francophones. Il devrait prendre l’affiche en salles, via TVA Films, au printemps 2025.