Librement inspiré de l’affaire Dutroux, qui a secoué la Belgique dans les années 90, présenté à la Mostra de Venise il y a quelques mois, on regrette que Cinémania n’a pas offert une meilleure vitrine à Maldoror, ce film incroyable de Fabrice du Welz qui, en 155 minutes passant en coup de vent, fait vivre un sacré moment de cinéma.
Rien d’original dans le film procédural. Rien de nouveau dans les déboires de la justice, les enfants disparus et on en passe. Pourtant, tout en s’inspirant d’un fait réel, Du Welz a judicieusement opté pour la fiction, lui offrant toute la liberté nécessaire pour concevoir un film dont il est le héros, capable de tout miser comme il le souhaite sans des contraintes factuelles pour le bon fonctionnement de sa mise en scène, de sa propre narrativité, mais aussi des performances de sa distribution qu’il dirige avec doigté au gré d’études de caractères fouillées.
Puisque voilà, à l’instar des Zodiac de ce monde, le long-métrage mise beaucoup sur son protagoniste, qu’il explore avec beaucoup d’adresse, tout en s’intéressant à la façon dont l’obsessionnel peut l’emporter sur la méthode et le reste.
Jeune premier imprévisible et entêté, doté de facultés rares et de multiples contradictions, le film nous place derrière Paul Chartier, jeune gendarme qui devient rapidement non pas seulement hanté et obsédé par le cas des jeunes fillettes disparues, mais complètement grugé de l’intérieur, un peu comme l’était la Maya de Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty, de Bigelow, alors que l’enquête semble de plus en plus liée à sa propre vie. Il est question de petits villages et de familles proches, après tout, et tout le monde se connaît et tout se sait assez rapidement.
Ce Paul Chartier est interprété avec une assurance intimidante par Anthony Bajon. Et quiconque a déjà vu un film avec Bajon (un peu éclipsé par Raphaël Quenard, il était également très impressionnant dans Chien de la casse) sait qu’il est un acteur fascinant et indéchiffrable. Il est ici à son sommet, repoussant considérablement l’étendue immense de son talent, abordant un rôle d’adulte qu’on ne prend pas au sérieux, loin de tous ces rôles de gamins qu’on lui avait donné par le passé, malgré la moustache molle arborée ici fièrement.
Fichtrement bien entouré, on retrouve à ses côtés le toujours génial Alexis Manenti, maniant un registre varié, dont l’humour pince-sans-rire, qui semble être sa deuxième peau, mais aussi de gros calibres, comme son collaborateur régulier Laurent Lucas, Sergi López, Lubna Azabal, Félix Maritaud et Béatrice Dalle (avec qui Du Welz vient d’ailleurs de faire un documentaire), tous plus excellents les uns des autres.
Le cinéaste devait renouer avec Benoît Poelvoorde après Inexorable, mais ce dernier est relégué à une mention dans les remerciements du générique; le titre du film est aussi passé du Dossier Maldoror à tout simplement Maldoror.
Ces nombreux changements ne sont toutefois pas représentatifs de la maîtrise de l’oeuvre, qui rappelle la précision du cinéma de Justin Kurzel, évoquant autant le côté glacial de son Snowtown que ses oeuvres plus récentes, comme Nitram.
Avec beaucoup d’élégance, où rien n’est laissé au hasard, le film jouit d’une mise en scène très calculée qui fait croire en chaque décision de son montage laborieux, gracieuseté de Nico Leunen, monteur de Felix van Groeningen, qui aussi travaillé pour Derek Cianfrance et Ryan Gosling. En plus d’être continuellement rehaussé par ses choix musicaux et, surtout, la prenante trame sonore de Vincent Cahay.
Avec toute son équipe, Fabrice Du Welz reproduit de manière très réussie les années 90 entre le look VHS rétro et l’attention aux détails, des costumes aux accessoires, tout en misant beaucoup sur le côté médiatique envahissant de l’époque, avant les chaînes d’information 24/7. Stylisé au possible, fortement aidé de la direction photo de Manuel Dacosse qui a travaillé avec Ozon notamment, le film ne se refuse pas des écarts vers la poésie et un certain lyrisme qui s’exprime particulièrement dans son utilisation des couleurs, mais aussi des textures, des éléments entre le feu, l’eau et la terre, ramenant continuellement l’homme à sa première nature.
Combat plus nuancé que le simple bien contre le mal, le projet a visiblement beaucoup de plaisir à s’immiscer dans la psyché de son protagoniste et à nous faire vivre avec lui sa descente aux enfers alors que sont représentés à la fois bon nombre d’injustices, mais aussi l’ingratitude du monde moderne, sous la corruption et ses semblables. Fort en complexités, pris dans une bureaucratie ridicule, on ajoute à tout cela le poids des familles italiennes alors que notre protagoniste essaie en parallèle de vivre sereinement son mariage avec sa compagne, auprès de la performance délicate de Alba Gaïa Bellugi.
C’est cet ajout qui met le poids dans la balance pour rendre l’ensemble encore plus crève-coeur. De voir comment la situation s’envenime insidieusement et de constater comment notre Paul se laisse consumer par l’obsession au fil des années, constamment par le biais d’une auto-destruction dans le simple désir de faire le bien, même si ce n’est que rarement de la bonne manière, tout en comprenant les points marquants de son évolution (ou sa régression, c’est selon).
Maldoror est donc fascinant. Pas toujours facile, parce qu’on y aborde des meurtres sordides, de la violence et de la pédophilie, mais on est sur le bout de notre siège tout du long. Avec un réalisme certain, en tentant de nous faire croire à cette histoire qui n’a pas eu lieu, du moins pas exactement comme ça, on sait comment capter notre attention et nous prendre à la gorge à mesure que le temps avance et que l’étau se resserre. De l’excellent cinéma qui devrait assurément nous hanter.
8/10
Maldoror a été vu dans le cadre de Cinémania. En l’absence d’un distributeur au Québec, le film n’a pas de sortie en salle prévue pour l’instant.