Rares sont les séries à saveur historique qui donnent autant l’impression de pouvoir se dérouler au coin de la rue. Avec Say Nothing, une adaptation télévisuelle du roman du même nom publié en 2018 par l’écrivain et journaliste Patrick Radden Keefe, la chaîne FX, placée ici sous l’ombrelle de Disney, jette un regard aussi froid qu’humain sur les Troubles, l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’Irlande du Nord.
Tout commence – ou tout se termine, allez savoir – en 1972, avec l’enlèvement, puis l’assassinat, d’une mère de famille par les forces de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise. C’est en voulant lever le voile sur ce meurtre sordide – la mère était soupçonnée de « collaborer » avec les Britanniques – que le personnage de l’auteur explore, 40 ans plus tard, le contexte particulièrement explosif du début des années 1970, alors que les fusillades et les attentats étaient monnaie courante à Belfast et ailleurs en Irlande du Nord.
À la fois série dramatique et documentaire, avec certains personnages de l’époque étant repris par d’autres acteurs, quatre décennies plus tard, pour expliquer en quelque sorte leurs agissements, dans le cadre d’entrevues avec le journaliste, Say Nothing rassemble tous les ingrédients de ce qui passerait presque pour une guerre civile: une animosité qui dure depuis des décennies, voire des siècles, le lourd fardeau de la religion, l’oppression d’une puissance occupante appelée à renforcer peu à peu sa présence militaire sur place, avec ce que cela suppose de bavures et d’abus de pouvoir…
Il ne s’agit pas, ici de déterminer qui sont les bons et qui sont les méchants: chaque camp a commis sont lot de péchés et de gestes impardonnables; chaque groupe compte son lot d’extrémistes qui ne veulent rien entendre, aveuglés qu’ils sont par la colère et la soif de sang; catholiques comme protestants, sans oublier les Britanniques, ont aussi dans leurs rangs des gens ordinaires qui se retrouvent emportés par la violence, que ce soit pour survivre, ou en raison de l’effet de la propagande.
Bref, on nage allègrement dans la nuance, dans les teintes de gris. Le tout sur fond de quartiers pauvres, de rues et de maisons délabrées, de gens ternes. Après tout, peu importe notre camp, ce sont toujours les pauvres hères qui sont les premiers à écoper, non?
Avec une brochette de très bons acteurs, notamment Lola Petticrew et Maxine Peake, mais aussi Josh Finan, Anthony Boyle et Tom Vaughan-Lawlor, sans oublier le toujours excellent Rory Kinnear, entre autres membres de la distribution, la série propose un regard franchement pertinent sur cette période méconnue de l’histoire.
Ironiquement, c’est peut-être son réalisme et sa complexité qui feront en sorte que le public pourrait craindre de s’engager dans ces neuf épisodes tenant du travail de maître, mais il ne certainement pas manquer une occasion d’apprécier de la très, très bonne télé. De la télé qui fait oeuvre utile, par ailleurs.
Complexe, fascinante, parfois effrayante et déprimante, Say Nothing est une télésérie particulièrement solide qui explore avec brio cette période historique méconnue. À voir, sans qu’aucun doute ne soit possible.