Le réalisateur vétéran qu’est Ridley Scott, qui aura pas moins de 87 ans à la fin du mois, a certainement senti dans les dernières années que le temps était compté. S’il a conservé sa cadence, qui a toujours ressemblée à celle de Clint Eastwood, en proposant presque un film par année, il a décidé de finalement abdiquer et plaire à ses fans en se lançant dans des suites de ses plus grands succès. Dommage que si l’ambition est toujours présente, le résultat pourrait difficilement être plus aberrant que ce Gladiator II.
Imaginez des enfants dans un bac à sable en train de jouer avec des figurines du premier Gladiator et vous obtenez l’histoire sans queue ni tête d’une stupidité à en décrocher la mâchoire de cette suite. Ce qui est peu dire, après avoir enduré à la fois Prometheus et Alien: Covenant.
Dans le cas qui nous intéresse, le scénariste David Scarpa n’avait pas réussi à bien rendre les enjeux de Napoléon (dans le film du même nom du même réalisateur) et il ne parvient certainement pas, ici, à faire mieux avec l’Empire romain. Force est de constater que n’est pas la superbe télésérie Rome de la chaîne HBO qui veut.
Calqué sur le moule du précédent avec des liens tarabiscotés avec ce film de plus d’une vingtaine d’années, on trouvera sans mal de l’action, de la vengeance, de la violence, de l’avidité de pouvoir et on passe. En gros, on retrouve le film dit « masculin » par excellence, la « belle époque » où celui qui cogne le plus fort impose sa loi et impressionne les autres, sans tenir compte des répercussions qui peuvent en découler.
Certes, on essaie encore d’être de son époque et donner un peu plus de place aux personnages féminins, à la diversité et aux nuances, mais le pari est loin d’être gagné. Connie Nielsen qui reprend son rôle de Lucilla, reléguée à bien peu, peut certainement en témoigner.
C’est encore plus maladroit en essayant d’illustrer la montée vers le pouvoir d’un personnage racisé, ancien esclave, dans des développements qui n’ont pas trop de sens, encore plus selon l’époque visitée. Bien sûr, Denzel Washington s’amuse comme un fou en renouant avec le réalisateur plus de 15 ans après American Gangster, mais on aurait peut-être dû opter pour une décision de color blind casting, plutôt que d’essayer de donner un réel motif à ses aspirations.
Et que dire de la brute au coeur tendre, rôle qui semble avoir été écrit sur mesure pour Paul Mescal, le chouchou des productions indépendantes dévastatrices (pensez Aftersun ou All of Us Strangers), qui aura rarement semblé aussi insipide qu’ici, à déblatérer sans conviction ses répliques. Il a beau être tout en muscles et en chair, il ne semble jamais à sa place, même s’il a la gueule de l’emploi pour ce chien égaré qui, lorsqu’il ne sort pas les poings, récite de la poésie pour faire oublier qu’il a arraché avec ses dents des bouts de singes tueurs.
Des singes, oui, car si l’on s’attendait à retrouver la majeure partie de ce qui a fait la force de Gladiator, premier du nom – on a quand même reconstruit une bonne partie des décors de l’original –, disons qu’on ne planifiait pas y trouver un zoo, s’amusant à décliner les variations d’animaux tueurs pour ce qu’on suppose être le plaisir de certaines personnes.
« Are you not entertained?« , criait Russell Crowe sous les traits du gladiateur Maximus, dans le premier volet. Peut-être, mais pas au point d’accepter ces singes assoiffés de chair fraîche, un rhinocéros enragé, et comble de tout, une reproduction dans le Colisée des impressionnantes naumachies qui consistaient à représenter les batailles navales, un ensemble auquel on ajoute ici une dizaine de requins tueurs…
Si l’on veut oser la poésie, comme Guy Ritchie l’avait fait avec son mésestimé King Arthur: The Legend of the Sword, on peut mieux avaler la pilule, mais même si le réalisateur entêté s’évertue à dire qu’il n’en a qu’à faire de nos critiques sur ses inconsistances historiques, il y a quand même des limites. Surtout considérant que Scott adore toujours privilégier une approche dite « réaliste ».
Même le légendaire compositeur Hans Zimmer n’a pas voulu revenir, alors que Harry Gregson-Williams (l’un des anciens assistants de Zimmer, qui a travaillé sur la majorité des projets récents de Scott) ne sait plus quoi faire pour pimenter musicalement les interminables 148 minutes du long-métrage.
C’est là une question que ne se pose pas trop l’acteur Pedro Pascal, dont la présence est accessoire au possible. Dans un cabotinage qui essaie de répliquer ce que Joaquin Phoenix avait fait jadis avec son Commodus, les pourtant talentueux Joseph Quinn et Fred Hechinger font des jumeaux difficilement crédibles, aussi voués au second plan.
Pire, si sur le plan visuel, on apprécie la certaine minutie de la reconstitution et la grandiloquence des tableaux, on ne peut passer par-dessus la laideur numérique de l’ensemble, qui gène le regard dès l’ouverture avec des panoramas de centaines de bateaux en mer évoquant les mauvais souvenirs du Troy de Wolfgang Petersen, sorti il y a pourtant deux décennies déjà.
Avec un budget faramineux approchant, si ce n’est dépassant les 300 millions de dollars américains, il est certainement gênant de se dire que le méconnu The Book of Clarence, véritablement tourné en Italie, pour sa part, avec une miette du budget du Scott, a fait pratiquement mieux.
Enfin, Gladiator II continue de montrer l’entêtement pratiquement honorable de Ridley Scott de persister, signer et continuer à n’en faire qu’à sa tête. De poursuivre une vision en grand angle du monde d’hier et d’aujourd’hui et d’avoir les tripes d’aller au bout de ses projets à vive allure. Il a, après tout, sa propre formule pour les films d’époque, qu’il produit et réalise depuis des décennies déjà. Dommage, toutefois, que le véritable plaisir commence cruellement à manquer et qu’à mi-chemin entre le désir de faire plaisir aux autres ou de se faire plaisir à lui-même, il donne surtout l’impression de nous faire perdre notre temps.
3/10
Gladiator II prend l’affiche en salle le vendredi 22 novembre.